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Commerciale, tend-il à réduire les droits sur l’importation, il se trouve des gens pour signaler les agissemens de la haute banque et des juifs, toujours prêts à sacrifier les intérêts nationaux. Un gouvernement dénonce-t-il, au contraire, les traités de commerce afin de relever les tarifs, des nouvellistes bien informés vous apprendront que la féodalité financière et la haute spéculation juive ayant eu soin d’accaparer les denrées, elles font relever les barrières de la douane pour hausser les prix. De semblables accusations, lancées parfois à la même heure, au nom d’intérêts opposés, ont beau, le plus souvent, s’annuler les unes les autres, il est facile, à ces pamphlets quotidiens que sont trop de nos journaux, de diriger les rancunes des intérêts lésés, avec les soupçons des foules ignorantes, contre cette finance cosmopolite, qu’on leur représente comme une puissance omnipotente.


Nous vivons dans un temps qui fait profession de liberté d’esprit, et qui, à son insu, reste assujetti, en presque toutes choses, à la domination d’humilians préjugés. Sur notre siècle finissant, émancipé des dogmes divins et des traditions monarchiques, règnent en souveraines les opinions toutes faites, renforcées, chaque matin, par une presse qui trouve son profit à flatter les préventions et les passions du public. Que ce soit notre excuse pour nous être arrêté, si longtemps, sur un des préjugés les plus répandus et les plus tenaces de nos contemporains. N’en déplaise à la foule des naïfs qui, en suivant le troupeau, se félicite de sa clairvoyance, la haute banque n’est pas toute-puissante. Si bas que semblent tombées les Ames, si avilis que se montrent les caractères, l’histoire, — qui ne se fait pas uniquement avec des pamphlets, — saura découvrir autre chose, dans notre époque troublée, que l’âge de la « bancocratie ». Ce n’est pas l’« Internationale de l’or » qui menace, aujourd’hui, l’indépendance des nations modernes et le libre développement des sociétés civilisées. Le péril est plutôt d’un autre côté.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.