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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/752

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Trochu. Il ne devait pas son autorité aux mêmes causes et tirait de ce contraste même sa plus grande force.

Eux étaient surtout des hommes de bruit : la plupart n’avaient rempli leur vie que de paroles ; ces réputations vides d’actes sonnaient creux, et l’enthousiasme de parti ne pouvait nier combien l’éloquence était vaine en face des multitudes silencieuses et armées de l’envahisseur. Trochu représentait une supériorité dans une profession où l’on s’élève par des actes : ils assuraient à son mérite les apparences solides et l’air de sérieux que l’art d’assembler les mots ne saurait donner. Le mérite qui était le sien se trouvait être à cette heure le plus nécessaire à la France : c’est d’une épée qu’elle avait besoin. Grâce à son opposition à l’Empire et à son attachement aux réformes militaires, il s’était fait pardonner par les républicains d’être général. Sur la conduite de la guerre, il était en situation d’imposer ses avis. Au nom de sa compétence, il pouvait même imposer la politique intérieure qu’il jugerait la plus efficace pour la défense de la patrie.

Cette primauté s’offrait à l’homme le plus en situation de l’exercer impartialement pour le bien public. Il n’était pas député de Paris, il était libre de subordonner les intérêts de la capitale à ceux de la France. Il n’était la créature d’aucune faction républicaine et pouvait être entre tous un arbitre. Il n’était même pas, plus que la France, républicain de la veille : comme elle il avait redouté de revoir, sous le nom de république, un régime qui, au lieu de représenter la nation, prétendît la transformer, et gouvernât pour une minorité avide et sectaire, ses vœux avaient toujours été pour un régime de liberté réglée. Il se trouvait donc, dans un gouvernement de parti, le représentant véritable de la nation. Et l’indépendance qui était dans sa situation était aussi dans sa nature.

La guerre n’apprend pas seulement aux hommes vraiment hommes une science de la mort, mais une science de la vie. La perpétuelle menace que la mort mêle à l’avenir du soldat, les blessures par lesquelles elle l’effleure et le marque, les longues insomnies dans les nuits d’hôpital où elle parle, les soudaines destructions sur les champs de bataille où elle triomphe, la durée aussi fragile et l’anéantissement aussi subit des renommées militaires, la nuit plus cruelle et sans lendemain où disparaissent les blessés de la fortune, les chefs malheureux, tout évêque la pensée et trempe le caractère. Une collaboration à toutes nos guerres, une familiarité avec les plus illustres de nos généraux[1], la vision, aux camps et à la cour, de ce qu’il y a

  1. Bugeaud, Saint-Arnaud, Pélissier, auprès desquels il avait servi.