d’immédiates réformes dans son état militaire, de futurs désastres ; que, ces désastres survenus avec la guerre de 1870, il protestât contre l’emploi de notre dernière armée et en prédît l’anéantissement, il avait toujours été démenti par les hommes et justifié par les faits. Or il mettait sa conscience à avoir conscience même de son mérite. Il en était venu à considérer son sentiment comme une présomption de vérité, à tenir pour peu de chose le témoignage d’autrui, à ne se laisser convaincre que par lui-même, et les contradictions glissaient sur l’impassibilité de ses certitudes.
C’est de ce regard assuré qu’il pénétrait maintenant l’avenir. S’il tenait la victoire pour perdue, elle ne pouvait être raisonnablement espérée par personne ; si elle repassait à portée de nos drapeaux, il était plus qu’un autre apte à la reconnaître et à la saisir ; si cet autre croyait la surprendre par des moyens auxquels lui n’avait pas songé, ces moyens étaient mauvais. Et pourtant, habituée à considérer le miracle de nos relèvemens comme une loi de l’histoire, et la victoire comme une dette de la fortune, la vanité française prêtait l’oreille, et son humiliation même la faisait plus crédule aux flatteries qui lui annonceraient la revanche. Dans l’armée la tentation pouvait être grande pour un général de se créer, par un mot, des droits au commandement suprême, et le sort de la nation deviendrait alors l’enjeu d’une ambition téméraire. A défaut d’un soldat, nombre de politiciens à qui leur incompétence même donnerait de l’audace étaient prêts à prédire la victoire certaine du patriotisme soulevé. Rien n’était plus dangereux que la vaine espérance. Non seulement les opérations imprudentes qu’elle inspirerait vouaient les restes de nos forces militaires à un écrasement plus prompt et plus inutile, mais, la foi au succès faisant plus affreuse la surprise des désastres, il était à craindre que dans la France l’âme fût désarmée même avant le bras, et que par la déroute des énergies tout fût perdu, même l’honneur.
Trochu, en acceptant le pouvoir, voulut sauver de ces chimères dévorantes le courage qu’il saurait employer à une œuvre raisonnable et efficace. Car, selon lui, la certitude de l’insuccès n’enlevait rien à la nécessité de la résistance. La promptitude, l’étendue et la facilité de nos défaites étaient autant d’apparences que notre race avait déchu ; si elle acceptait, aussitôt résignée, ses revers, la preuve serait achevée. C’est cette déchéance qu’il restait à écarter de nous. La persévérance avec laquelle la victoire serait disputée, même sans espoir, au plus fort, allait devenir la mesure des énergies qui restaient à notre race, et plus les moyens