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et celles, plus importantes, que promet l’avenir, sont plutôt commandées par la force des choses que par des intentions de propagande ; elles sont un phénomène, non une manœuvre. La législation du XIXe siècle, plus tolérante que ses devancières, les a permises ; elles ont été provoquées et encouragées par l’abaissement des barrières entre les divers États, par les facilités du transit, par les circonstances économiques qui réclamaient un chassé-croisé de travailleurs. Elles attestent la vie complexe, agitée, un peu essoufflée, de l’Empire unifié : par politique, il aime à mêler ses enfans ; bon économe de leurs forces, il les détache là où leurs bras peuvent le mieux servir ; il exploite, en toutes ses régions, des Allemands de partout ; et ses grandes cités, réceptacles de Polonais et de Rhénans, de Badois et de Saxons, deviennent, en quelque mesure, une école de fusion et d’unification, où les poignets se trempent pour une lutte industrielle contre l’Angleterre, cette émule qui paraît une moitié d’ennemie. Le soldat, à son tour, dans le district où il cantonne, est un exotique, et l’adepte, souvent, d’une religion exotique : dans le protestant Brandebourg, un tiers des fidèles du pape se compose des recrues de l’empereur, originaires d’autres régions ; on a vu se créer des paroisses, celle de Wismar par exemple, pour offrir une messe à des soldats, et s’édifier des temples, en Prusse Rhénane, pour que la garnison protestante eût un prêche. Préoccupée de broyer entre elles les diverses populations, peu importe à la Prusse que dans cette robuste besogne elle trouble, en beaucoup d’endroits, la tranquillité, longtemps bien assise, du vieil établissement religieux, protestant ou catholique ; dans la première année de la domination prussienne en Hanovre, la communauté catholique s’accrut de 1 500 membres. Joignez-y le va-et-vient des fonctionnaires, et vous comprendrez qu’au contact de cette incessante circulation le visage correct que s’étaient composé les anciens groupemens religieux, bien barricadés et bien policés par les souverainetés d’autrefois, se chiffonne ou se ride inévitablement.

Formation, aux XVIe et XVIIe siècles, d’un certain nombre de terroirs, exclusivement protestans ou catholiques, qui coïncidaient exactement avec les limites des principautés, grandes ou minuscules, et qui survécurent à ces principautés : voilà un premier fait, qui explique le morcellement religieux de l’Allemagne.

Développement, au XIXe siècle, de minorités confessionnelles qui n’empêchent point, sans doute, la Basse-Bavière ou la Prusse Rhénane de demeurer catholiques, ni le Brandebourg ou la Saxe de demeurer protestans, mais qui, réclamant la tolérance, font brèche dans la sévère cohésion des vieux cadres : voilà le second