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surprendre les catholiques, volontiers ils accuseraient le gouvernement de tenter leurs filles en multipliant pour elles les occasions séduisantes de mariages mixtes, et de les trahir, au lendemain de la noce, en les exilant, par de systématiques mutations de postes, dans quelque province lointaine, strictement évangélique, où périclite leur foi.

Il est deux points de l’Empire où le gouvernement prussien travaille, ouvertement, à renverser la situation réciproque des confessions, et se sert du protestantisme comme d’un légat : ce sont la Pologne et l’Alsace-Lorraine. L’immigration protestante, ici et là, est commandée par le pouvoir central ; pour que les nouveaux maîtres trouvassent une majorité de dévouemens, il faudrait, paraît-il, que la vieille confession catholique ne conservât plus que la minorité des âmes. C’est au nom du patriotisme germanique que la Ligue évangélique et l’Association de Gustave-Adolphe veulent multiplier, dans ces deux pays, les églises et les écoles évangéliques. Dans les couches profondes des deux peuples annexés, il y a comme une fidélité stagnante aux anciens souvenirs ; secouer cette volontaire existence d’outre-tombe, remuer cette stagnation, en y faisant s’infiltrer, ou même s’engouffrer, un flot de protestantisme prussien : telle est la politique impériale. M. de Bismarck et son successeur ont semé les colonies allemandes à travers l’antique Pologne ; mais juxtaposer n’est point mêler ; entre-choquer n’est point assimiler ; la mieux combinée des mosaïques demeure une œuvre factice, et M. de Bismarck n’a pu faire qu’une mosaïque.

Lorsque les Polonais dénoncent l’invasion du germanisme évangélique, les ministres prussiens, pour leur rétorquer leurs griefs, citent l’exemple de Danzig, où depuis 1868 un noyau polonais aurait repris droit de cité, et l’exemple de certains villages de la Prusse occidentale, où des écoles fondées par l’association protestante de Gustave-Adolphe seraient tombées aux mains et au service des catholiques par suite de l’immigration systématique d’une plèbe polonaise. Comme jadis les chevaliers de l’Ordre Teutonique, arborant la croix noire sur leur manteau blanc, luttaient à coups d’épée contre leurs voisins de Pologne, ainsi dans la Prusse Occidentale, redevenue comme il y a cinq siècles la Marche de deux races — et devenue par surcroît la Marche de deux confessions — c’est, si l’on ose dire, à coups de colons, de journaliers et de vagabonds, que le germanisme protestant et le polonisme catholique se combattent incessamment sans pouvoir jamais s’évincer.

Partout ailleurs, les infiltrations religieuses accomplies déjà,