Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/825

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

motivant au nom de ce qu’il appelle la « justice chrétienne », les projets de réformes fiscales et d’amélioration sociale ; il s’est déclaré pour la révision de la constitution, encore qu’elle doive mettre un terme aux privilèges de certaines notabilités de l’église catholique, qui siégeaient de droit à la Chambre ; il a le tempérament d’un groupe démocratique, et dès le début il on a pris les allures ; il veut être populaire, et il l’est. Dans ce pays légèrement archaïque, qui contraignait les nouveautés de subir un certain stage, non seulement pour être acceptées, mais même pour être comprises, c’est une religion, et celle de la minorité, qui par une poussée décisive travaille à les faire pénétrer ; au déclin d’un siècle où les religions ont fréquemment usé leur crédit à vouloir conserver ce qui avait disparu et mérité de disparaître, ce phénomène inédit mérite attention.

Ni dans la Silésie ni dans le Palatinat, de pareilles surprises ne nous attendent. L’église évangélique, en Silésie, est fière de sa vitalité ; dans la région d’Oppeln, plus de 60 pour 100 de ses fidèles vont au prêche, et leurs mœurs, chose rare, sont à l’avenant de leur piété ; dans les autres districts, elle maintient aussi une certaine ferveur, d’autant plus attiédie, en général, que la grande propriété est plus envahissante ; les villes industrielles lui échappent, ou à peu près. Quant au catholicisme silésien, ne lui demandez point cette gravité d’aspect, cette opportune façon d’associer, dans ses églises, la nudité et la parure, surtout cette intensité d’action, qui distinguent l’Eglise romaine en d’autres régions de l’Allemagne.

Lorsqu’on entre dans les églises gothiques de Breslau, fortement abîmées par les remaniemens artistiques des deux siècles passés, lorsqu’on promène ses regards sur leurs étranges statues de saints et de saintes, habillés d’un coloris criant, se déhanchant avec violence comme pour occuper l’œil du fidèle, et brandissant avec des gestes forcenés leur livre ou leur cierge ; lorsqu’on lève la tête, enfin, vers ces « poutres de gloire » sur lesquelles se déroule toute une farandole de bienheureux, on touche l’influence, déjà pressentie en Bavière, de cette profusion décorative à laquelle se complaît le catholicisme méridional. Les promesses du paradis terrestre socialiste luttent avec quelque chance de succès contre ces mauvaises copies du paradis céleste ; et sur les populations ouvrières l’Eglise catholique, en Silésie, n’obtient qu’un médiocre ascendant. Elle possède, dans les campagnes, un peuple foncièrement chrétien, et par surcroît (est-ce une bonne chance ou bien une mauvaise ? ) une clientèle de grands propriétaires ; or la masse rurale, souvent, va se détachant du prêtre si le prêtre va s’attachant au seigneur ; de là, pour le clergé silésien,