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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/865

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bornés les romantiques. Mais pour le reste, il a été simplement le continuateur et le rival des grands poètes gothigues, des Tegnér et des Geier.

Inauguré par ces poètes, le mouvement d’émancipation de la littérature suédoise fut ensuite repris par les romanciers. En Suède, comme dans le reste de l’Europe, le roman a longtemps tardé à devenir le genre dominant.

On fait assez volontiers remonter l’histoire du roman suédois jusqu’à Anna-Maria Lenngren, un des écrivains les plus remarquables de l’époque gustavienne, auteur de nombreux petits romans ou contes en vers, à demi didactiques, à demi satiriques. Anna Lenngren a dit d’elle-même qu’elle « avait toujours vécu en solitaire, en visionnaire, sans quitter le coin de sa fenêtre », et qu’elle « s’était bornée à peindre le monde tel qu’elle l’apercevait de là. » Mais cette solitaire était une femme d’une intelligence supérieure ; et le « coin de sa fenêtre » se trouvait être le centre de réunion de tous les écrivains et beaux esprits du temps. Son mari, éditeur de la Poste de Stockholm, était un des principaux combattans des luttes littéraires et politiques de cette brillante période. Cette « visionnaire » voyait aussi très clairement les choses de ce monde, notamment les travers de la société de son époque. Elle était sévère surtout pour son sexe, malgré ses idées d’émancipation sociale, et le mariage lui-même lui paraissait avoir besoin de sérieuses réformes.

On peut encore, à la rigueur, classer parmi les romanciers Almquist, dont l’œuvre considérable — nouvelles, contes, drames, études d’histoire, d’esthétique, de philosophie — s’étend sur une période de plus de trente-cinq ans. Par la nature de son talent, l’originalité de ses idées, le radicalisme de ses tendances, Almquist occupe une place à part dans la littérature de son époque. Il y a comme une réminiscence de Rousseau dans la tournure de son esprit, ainsi que dans le fond de sa théorie sociale, qui prêche l’émancipation de l’individu vis-à-vis de la société. C’était un esprit en quelque sorte universel, mais mal équilibré, qui s’est essayé à tout, a semé dans tous les champs des trésors d’idées, et n’a laissé nulle part une empreinte bien nette. Ses nouvelles, ses paysanneries, d’une originalité bizarre et fantasque, mi-allégorie, mi-réalité, offrent comme une vision lointaine de ce que fera Ibsen cinquante ans plus tard.

Lindeberg, qui a aussi débuté comme romancier, s’est fait plutôt connaître par ses œuvres dramatiques et ses écrits politiques. Il fut mis en évidence surtout par les péripéties tragi-comiques d’un procès devenu légendaire. Accusé d’avoir, dans une