Suède même. À ce sentiment religieux si simple et si sincère qu’elle faisait intervenir dans tous les détails de l’existence journalière, Fréderica Bremer joignait d’ailleurs un grand talent descriptif, attrayant par sa simplicité même.
Elle a raconté quelque part que son premier essai littéraire avait été une ballade à la Lune, écrite en français à l’âge de dix ans ; son second, une comédie enfantine, composée un an après, une grande comédie que ses frères et sœurs devaient jouer pour la fête de leur père, et dans laquelle, sous des allusions à des événemens domestiques, elle faisait discuter à ses petits personnages des problèmes religieux. C’était déjà là, en germe, l’esprit de ses romans, où la sentimentalité se mêle au bon sens le plus pratique et le goût des problèmes religieux à l’étude consciencieuse du menu détail de la vie quotidienne.
Les romans de la baronne Sophie von Knorring se meuvent dans des sphères plus hautes. Ce sont des « romans du grand monde. » On a même fait le reproche à Sophie von Knorring de s’occuper un peu trop exclusivement de ce monde, de ne choisir pour héros que des comtes et des barons vivant dans les cercles de la haute aristocratie. Et c’est sans doute pour répondre à cette accusation, qu’elle a écrit un roman, le Paysan, dont la scène se passe dans un milieu tout démocratique. Ce que l’on pourrait, à plus juste titre, lui reprocher, c’est de n’avoir pas assez pris ses personnages dans la vie réelle, mais de les avoir tous tirés, barons, bourgeois, paysans, du fond de son imagination.
De son temps et dans le monde qui était le sien, on disait de la baronne von Knorring qu’elle ne possédait pas moins de vingt-quatre talens de société. Je ne sais pas si celui d’écrire des romans était compris dans ce nombre. Elle avait près de quarante ans lorsqu’elle s’est mise à écrire, ce qui ne l’a pas empêchée de laisser un grand nombre de romans. Mais son œuvre a toujours un fâcheux caractère de dilettantisme ; on croirait entendre les improvisations d’une brillante virtuose mondaine. La littérature a bien été, pour Sophie von Knorring, un vingt-cinquième talent de société. Jamais ses personnages ne vivent de leur vie propre et ne donnent la sensation complète de la vie. Style correct, dialogue spirituel, situations bien amenées, intrigue finement nouée, tout cela est plein d’esprit, de bon goût, mais tout cela manque trop de vérité pour nous émouvoir bien à fond.
Voilà un reproche qu’on ne ferait guère à Emilie Carlén. Elle a vécu de la vie même de ceux dont elle nous conte les aventures, pêcheurs et marins, douaniers de la côte et commerçans des ports de mer, prêtres de campagne et bourgeois de province.