Fille d’un capitaine au long cours retiré sur ses vieux jours dans la petite ville maritime de Strömstad, où il s’était établi comme marchand de comestibles, elle est née au milieu de ce monde, elle a grandi dans cette boutique, où les pêcheurs venaient échanger leur poisson contre les provisions d’hiver, où les patrons des navires, anciens camarades de son père, venaient se pourvoir pour les voyages, où tous ces travailleurs de la mer se donnaient rendez-vous, où battait le cœur de la petite ville, et d’où la vie rayonnait sur la côte et les îles avoisinantes.
Elle était le quatorzième enfant de ses parens, et l’on peut s’imaginer la vie folle et libre que menait cette bande de frères et sœurs dans les bois, sur la plage, en mer. Emilie, quoique la plus jeune, n’était pas la moins entreprenante. A douze ans déjà, elle faisait son premier voyage de marin, enrôlée à bord du Kulten, le voilier de son père, sur lequel, deux fois par an, celui-ci parcourait la côte pour visiter les cliens, porter les provisions aux pêcheries lointaines et en rapporter, en échange, les produits de la mer. La jeune fille s’y montra si hardie, si dégourdie, si experte, que ce fut elle qui, en d’autres occasions, prit le commandement du navire et visita les pêcheries à la place de son père. Elle adorait ces voyages. Elle s’était fait des amitiés très vives parmi ces vieux loups de mer, dont elle aimait à se faire raconter les aventures, et aussi parmi les femmes, qu’elle faisait jaser sur les moindres événemens de leur vie domestique. C’est ainsi qu’elle a connu intimement tout ce petit monde, qu’elle l’a étudié sur le vif ; et lorsque ensuite elle s’est mise à le décrire, toutes ces figures accouraient à son appel, vivantes, réelles, impérissables.
Plus tard, mariée au médecin de campagne Flygare, elle apprit à connaître les centres agricoles du Smäland. Elle recevait les cliens de son mari, lorsqu’il était absent, les faisait patienter jusqu’à son retour ; ou bien elle accompagnait son mari dans ses tournées à travers la campagne. C’est ainsi qu’elle a connu la vie des presbytères et des châteaux, lorsque son mari y était appelé par les devoirs de sa profession. Ils y restaient généralement plusieurs jours, et dans ces conditions il était facile de lier vite connaissance, d’entrer dans l’intimité de la famille.
Plus tard encore, devenue veuve, elle vint à Stockholm pour l’éducation de son fils ; et, bientôt après, son mariage avec le littérateur Carlén la fit entrer dans les cercles littéraires de la capitale. Elle fut l’âme des réunions qui se tenaient chez son éditeur, l’excellent Thomson, et du cénacle des Aganippes, fondé par Dahlgren, et où fraternisait en des agapes hebdomadaires toute la