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Cecchi, dans son étude, avait estimé à 145 000 hommes — dont 70 000 pour le Choa et 20 000 pour le Tigré — le chiffre des troupes de première ligne que l’Abyssinie pouvait mettre sur pied en cas de guerre populaire. Enfin, l’explorateur Franzoi, consulté souvent par M. Crispi et ses collègues, avait donné les renseignemens les plus complets sur l’organisation militaire des Abyssins, l’importance de l’armement qui leur arrivait par caravanes, et la solidité de leurs divers contingens.

Malheureusement pour lui, le gouvernement du roi Humbert n’a pas plus profité des avertissemens du comte Antonelli, du capitaine Cecchi et de l’explorateur Franzoi, que le gouvernement de Napoléon III de ceux adressés de Berlin par le colonel Stoffel, avant les événemens de 1870. Et quand le major Salsa, envoyé par le quartier général italien pour sonder Ménélik relativement à la paix, fut invité à assister à une revue de l’armée impériale, il put se convaincre de visu que « les forces abyssines, qui venaient d’éprouver des pertes effroyables dans leur victoire d’Adoua, se montaient encore à 80 000 hommes bien armés, défilant en bon ordre, suffisamment approvisionnés et possédant 50 000 quadrupèdes[1] ». Mais, ces constatations arrivaient après la chute du ministère Crispi et « la perte des légions de Varus ! »


II

Les mesures à prendre par Ménélik pour arrêter l’invasion italienne étaient fort simples ; elles avaient été souvent expérimentées contre l’islamisme. En effet, il est de tradition, en Abyssinie, que l’appel aux armes signifié « au nom de la patrie et de la foi », soit expédié, par la voie la plus rapide, aux grands vassaux qui, à leur tour, le transmettent immédiatement aux ras, et généraux gouverneurs, lesquels le font connaître sur-le-champ aux sciums ou chefs de districts. Ces derniers, à la fois administrateurs civils, collecteurs des impôts, et commandans de recrutement, sont la cheville ouvrière de la mobilisation. A leur ordre accourent, sans distinction d’âge, tous les hommes en état de porter les armes, chacun devant, en principe, le service militaire à son suzerain. Le scium rassemble et choisit les hommes de son district, puis les envoie au ras. Celui-ci groupe les détachemens et forme un corps de troupe qu’il dirige vers le lieu de réunion déjà désigné par le grand vassal dont il dépend, ou par

  1. Dépêche du général Baldissera au gouvernement italien, 12 mars 1896.