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V

L’origine des armes à l’eu possédées par l’armée de Ménélik est la suivante. Après l’expédition anglaise et la mort du négus Théodoros, les Abyssins des divers États reconnurent la supériorité des fusils européens sur leur armement primitif : la pique et le bouclier. Dès lors, des armes à feu furent introduites dans le pays. Durant les années 1875 et 1870, deux armées égyptiennes, qui tentèrent d’imiter les Anglais en pénétrant successivement en Abyssinie, mais qui y furent exterminées en entier, laissèrent tout leur armement aux mains des vainqueurs, soit 20 000 Remington. Aussi, lorsque les Italiens débarquèrent à Massaouah, les Abyssins étaient-ils déjà pourvus passablement. [1]

La conquête du Harrar par Ménélik, alors simple roi du Choa et vassal du négus Johannès, fit tomber entre les mains du premier une grande quantité de Remington et de munitions — voire de l’artillerie — provenant de l’occupation égyptienne. Devenu empereur d’Ethiopie, après la mort du négus Johannès et la soumission du fils de ce dernier, le ras Mangacha, Ménélik, d’accord avec le gouvernement de Rome, augmenta ses moyens d’action. Après sa fameuse mission à Rome, en 1885, le ras Makonnen rapporta en Abyssinie le produit d’un emprunt, plus 10 000 Wetterli et deux millions et demi de cartouches achetés en Italie même. L’emprunt fut remboursé par Ménélik, mais les armes, dont le prix se trouvait réglé par le fait du remboursement, furent conservées. Ensuite, le négus reçut, toujours d’Italie, par l’entremise du comte Antonelli, représentant du roi Humbert, des milliers de fusils et des munitions[2] ; 4 000 autres lui furent livrés directement par un ingénieur italien nommé Capucci, résidant au Choa, et dont la correspondance, saisie, amena l’arrestation. D’autres Italiens, parmi lesquels le vice-consul Bienenfeld, en fournirent, de leur côté, un grand nombre. Au surplus, tous les voyageurs, et particulièrement les sujets du roi Humbert, allant au Choa, portaient au négus armes et munitions. Les marchands grecs, nombreux et influens en Ethiopie, ont aussi fait le commerce des fusils avec les Abyssins. Lorsque le gouvernement

  1. Chiffre indiqué par le voyageur italien Bianchi.
  2. Une des livraisons d’armes, par les Italiens, est signalée dans la Cronologia storica degli avvenimenti della colonia Eritrea reproduite par la Rivista militare italiana du 1er janvier dernier :
    « 13 octobre 1888. — Il conte Antonelli invia a Menelik nello Scioa una caravana di armi e munizioni, già promesse del governo italiano e consistente in 5 000 fucili Remington, 200 000 cartucce Wetterli, 12 casse di polvere ! »