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manœuvrière, instruite d’après les meilleures méthodes et dotée d’un armement et d’un matériel perfectionnés.

Quant aux sièges, Ménélik ne connaît que l’attaque de vive force. Si celle-ci réussit, comme à Antalo[1], tant mieux ; si, au contraire, elle échoue, il se borne alors à bloquer la place et à attendre tranquillement que la faim et la soif obligent la garnison à capituler. Et cette manière de procéder est bonne. La reddition de Makalé le prouve.

Sur le champ de bataille, la manœuvre dans laquelle les Abyssins excellent est « l’enveloppement tactique ». Après leur expédition, les Anglais avaient signalé le fait. Lors de l’entrevue qui eut lieu sur les bords du Dyab, entre sir Robert Napier et Kassaï, roi du Tigré, qui avait promis sa « neutralité bienveillante » durant la guerre contre Théodoros, le général en chef anglais, son état-major et son escorte, se trouvèrent tout à coup, et avec une surprise mêlée de quelque inquiétude, au centre de l’armée tigréenne, qui les avait enveloppés en silence et pour mieux leur rendre honneur, parait-il. Un témoin oculaire raconte : « Tous nos officiers furent étonnés de la manière dont les Abyssins se présentèrent. Ils nous entourèrent immédiatement, en cercles serrés, et sans le moindre désordre… Leur discipline était bonne, et au cours de cette brève entrevue, ils ont montré une science de manœuvre digne d’une année européenne[2]. » Dans une publication remontant à plusieurs années, le général Baratieri disait : « Les Abyssins, qui ont appris à se couvrir par de véritables avant-postes, n’entament ordinairement l’action que quand ils se sentent supérieurs en nombre. Dans la « masse » résident leur courage et leur force. C’est cette masse qu’ils cherchent à lancer sur le point le plus faible de l’adversaire, contre un de ses flancs ou sur ses derrières… L’avant-garde commence le combat et occupe l’ennemi de front, tandis que les ailes s’avancent à leur tour pour converger ensuite sur ses flancs. Ils arrivent ainsi à produire tout naturellement l’enveloppement tactique, le seul procédé que leur art militaire, dans l’enfance, leur permette d’employer. » Cette manœuvre des Abyssins, « la seule qu’ils sachent employer », le malheureux commandant en chef de l’armée italienne n’a pu ni l’arrêter ni la déjouer. Plus éclairé, et pour cause, le général Ellena, qui commandait la réserve italienne à Adoua, a déclaré : « La tactique des Abyssins est admirable. Les soldats sont bien disciplinés et attaquent toujours à coup sûr. Leur mouvement tournant est irrésistible par la rapidité de son

  1. «… Les Italiens ne surent pas défendre avec leurs canons ce que nos pères défendaient avec des pierres. » — Lettres de Ménélik, en date du 15 décembre 1893.
  2. Le colonel Furse. — Journal of the royal united service, 1891.