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d’un ruisseau, regardant les ruches qui bourdonnent, il a trouvé, sur sa palette, des notes printanières, d’un vert aussi frais et aussi tendre que le gris du ciel oriental était profond et limpide et que, pour consoler le sublime Prométhée, enchaîné sur son rocher, il fait luire, autour de l’essaim des blanches océanides, un azur immobile et serein dont Eschyle s’enivre et s’inspire. C’est dans l’azur encore, mais un azur légèrement troublé, qu’Homère, assis sur le rivage, entre la mer et les verdures, se laisse couronner par ses deux filles, l’Iliade et l’Odyssée. C’est enfin, sous un ciel à la fois plus triste et plus coloré que l’Histoire, descendant sous les rocs brûlés, y retrouve l’entrée des temples abolis. Partout la figure principale, accomplissant l’action qu’elle symbolise, dans une attitude sérieuse et naturelle, sans souci du spectateur, se trouve ainsi exaltée par la concordance heureuse de son milieu coloré, et c’est à cet accord naturel et naïf de la pensée et de la vision qu’est due la séduction irrésistible de ces rêves flottans et grandioses auxquels le spectateur ravi n’a plus le courage de réclamer la précision qui serait nécessaire à des réalités. Faut-il gâter ses joies en reprochant au chantre divin et vague des Harmonies et de la Chute d’un ange, de n’avoir ni la maîtrise raffinée d’Alfred de Vigny, ni l’éclatant coloris et la sonorité victorieuse de Victor Hugo, ni la correction virile de Leconte de Lisle ; après tout, n’est pas Lamartine qui veut. Ne demandons pas à M. Puvis de Chavannes d’être Ingres ou Delacroix, ne lui demandons même pas d’être Baudry ou Gustave Moreau : n’est pas Puvis qui veut, et nous le voyons bien, car personne ne l’étudie sans danger et ne l’imite sans ridicule.

Ce n’est point si tôt, ni d’un élan si rapide et si instinctif, que M. Dagnan-Bouveret est devenu un peintre d’histoire et de style, un peintre classique. La route est longue qu’il a parcourue, d’un pied patient et courageux, depuis les anecdotes bourgeoises et sentimentales de la Noce chez le photographe et de l’Accident avant d’arriver, en passant par les études ethnographiques et morales du Pain bénit, du Pardon, des Conscrits, au grand poème de la Cène, l’œuvre capitale, cette année, de l’école française, et qui n’est, on peut le croire, qu’une étape encore dans la carrière d’un si jeune artiste. C’est par degrés, laborieusement, à force d’analyses scrupuleuses de la réalité, qu’il a simplifié et élargi sa manière de voir, qu’il a fortifié et réchauffé sa manière de peindre, se débarrassant peu à peu de ces habitudes de sécheresse et de minutie contractées par presque tous les émules ou successeurs de Bastien-Lepage. C’est par un lent effort que son imagination, allant des détails à l’ensemble, du particulier au général, est