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n’y vont pas par quatre chemins. Ils ne se perdent pas dans le symbole. Ils regardent ce qu’ils voient, ils nous émeuvent en le peignant. Combien moins de littérature et de sentimentalité dans la Lutte pour la Vie de M. Luyten que dans l’Angoisse de M. Rochegrosse et dans l’Humanité de M. Pelez ! Combien plus de vérité, d’émotion, de peinture ! D’imagination ? nulle apparence. De raisonnement ? pas davantage. Une affreuse salle basse d’estaminet où se chamaillent, s’insultent, se cognent, dans une réunion de grévistes et d’affamés, autour d’une loque rouge, des ouvriers et leurs femmes. Il y a déjà un cadavre à terre. Les vivans, au-dessus, vocifèrent, gesticulent, menacent. C’est un grouillement effroyable de têtes souffreteuses, abruties, sauvages, lamentables. L’exécution, à fond gris, avec des rehauts bleus et bleuâtres, est grave et brutale, vigoureuse et saccadée, comme l’action même. A quoi servirait une figure allégorique ou académique, la Misère ou la Famine, planant sur une mêlée suffisamment significative ? A nous faire douter de la sincérité de l’artiste. Dans les sujets contemporains, presque toujours, l’allégorie est inutile, plus qu’inutile, déplacée et choquante. Il la faut laisser aux décorateurs qui en vivent.

Un autre Anversois, M. Struys, dans une scène non moins concrète, nous semble aussi exprimer l’idée de la mort d’une façon plus poignante que toutes les compositions symboliques sur le même sujet. Il lui suffit, à son habitude, de ramasser deux ou trois figures, dans un cadre étroit et bas, en des attitudes très significatives, sous les larges accens, savamment expressifs, d’un coup de lumière justement répartie. La force de son émotion et la virilité de son pinceau font le reste. Son Désespéré vaut ses œuvres précédentes. Au fond d’une modeste salle, une petite porte s’ouvre sur une chambre, éclairée par une veilleuse, dans laquelle on voit, de dos, se pencher une vieille dame en noir. Derrière la dame, vu de dos encore, un jeune diacre, tête nue, en surplis blanc, avec une grosse lanterne, puis, derrière, un vieux prêtre, en chasuble jaune, portant, sous un linge, l’extrême-onction ; à gauche, une servante prosternée, devant un fauteuil de paille, en pleurs, la tête cachée dans son tablier ; à droite, agenouillé, un vieux domestique, dont on n’entrevoit que le crâne chauve et les yeux baissés. Ces yeux, des yeux sans regards, sont les seuls que le peintre ait montrés ; pas un visage de face, à peine un profil ; c’est avec des dos, des nuques, des attitudes que le peintre nous remplit de l’angoisse et du respect dont tous ses personnages sont pénétrés. Des tableaux si simplement conçus et si fortement exécutés font admirer la puissance