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expressive de la peinture à ceux qui l’aiment et devraient la faire comprendre à ceux qui ne l’aiment pas encore. Chez M. Struys, plus encore chez M. Luyten, l’harmonie est complète entre la façon de sentir et la façon de peindre, et l’on y constate cette unité d’aspect, cette coordination soutenue des formes dans la lumière, qui, pour un œil exercé, caractérise, avant tout, les bonnes peintures.

Cette unité d’aspect, qui désigne aux yeux de tous, dans une exposition ou dans un musée, les ouvrages fortement conçus et résolument exécutés, s’établit, cela va sans dire, avec plus de difficultés dans les grandes que dans les petites toiles. La multiplicité des figures, la variété des mouvemens, les complications de l’éclairage entraînent d’autant plus le peintre inexpérimenté ou indécis à une dispersion et un morcellement d’effets qu’il travaille sur une plus vaste surface et qu’il doit accorder des tonalités plus éclatantes. Rubens, Gros, Géricault, Delacroix ont donné d’admirables exemples de ces orchestrations soutenues dans la note vigoureuse et retentissante, comme Tiepolo et Boucher dans la note aimable et brillante. Nos contemporains, en général, n’osent plus se hausser à ces hardies ou joyeuses aventures ; c’est dans l’atténuation des coloris, dans l’abaissement des sonorités, dans l’uniformité, plus facile à réaliser, des teintes grisâtres ou jaunâtres, que les meilleurs d’entre eux cherchent, avec inquiétude ou timidité, cette indispensable unité. En voici des exemples bien frappans dans les plus importans tableaux d’histoire ou de genre historique qu’on voit aux Champs-Elysées : ceux de MM. Tattegrain, Buffet, Lionel Royer, Surand, Thirion, Boyé, Rouflet, etc. Non seulement les sujets choisis y sont tristes, quand ils n’y sont pas lugubres ou répugnans, mais la peinture y reste le plus souvent grise, mince et terne, alors même qu’elle aurait le droit, sans contredire au sujet, d’être chaleureuse, ferme et vibrante.

La notation grise, sans doute, était de rigueur pour M. Tattegrain, puisque la scène terrible qu’il nous présente, avec un très remarquable talent, se passe en plein hiver, en Normandie, par un temps de neige. Les Français de Philippe-Auguste, en 1204, assiègent le Château-Gaillard, défendu par les Anglais de Jean sans Terre. Il faut lire dans le véridique chroniqueur, Guillaume Guiart, témoin oculaire, dont les descriptions exactes et détaillées ont fourni à Viollet-le-Duc la matière d’une de ses plus instructives études sur l’architecture du moyen âge, les péripéties de ce long siège, qui se termine par la prise du fort, le chef-d’œuvre du génie militaire de Richard Cœur de Lion, regardé comme imprenable. L’héroïsme des assiégeans et des assiégés fut égal dans cette lutte épique ; leur cruauté ne le fut pas moins. Les habitans