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de plénitude et d’unanimité. Mais plus admirable encore et peut-être sans pareil dans l’œuvre entier de Beethoven nous paraît certain épisode de l’Agnus Dei. En tête du dernier morceau de la Messe on lit ces mots : Bitte uni innern und äussern Frieden. Prière pour obtenir la paix intérieure et extérieure. Dans un andante qu’on souhaiterait moins uniforme, je n’ose dire moins traînant, cette prière d’abord se développe longuement. Pacem, pacem, pacem, disent et redisent les voix à satiété, comme pour arracher le précieux don à la lassitude divine. Mais brusquement tout change : rythme, mesure, tonalité. On entend de sourdes rumeurs et l’appel des clairons. L’orchestre s’émeut, frémit, et sur son frémissement les trois voix du contralto, du ténor et du soprano, jettent tour à tour vers l’Agneau de Dieu une adjuration épouvantée. Ce n’est qu’un cri, mais sublime : le cri de toute créature qui recule et défaille devant l’horreur, apparue soudain, de la guerre ; de la guerre que sonnent là-bas « les trompettes hideuses. » Et c’est aussi le cri de Beethoven lui-même, d’un Beethoven qu’on ne connaissait pas. Aujourd’hui sans doute comme aux jours, anciens déjà, de l’Héroïque, il conduirait encore les guerriers au combat ; mais fasse plutôt le ciel que jamais de tels jours ne reviennent. Sans en désavouer l’héroïsme, il en conjure l’horreur, et désormais ce n’est plus la gloire, c’est la paix, que demande à Dieu pour les hommes, pour tous les hommes, cette grande âme sur eux attendrie et apitoyée.

C’est la paix, et demain ce sera la joie.

« O joie, belle étincelle de la divinité, fille de l’Elysée céleste ; pleins d’une ivresse sacrée nous entrons dans ton sanctuaire. Une puissance mystérieuse réunit enfin ceux que le monde et le rang séparaient ; à l’ombre bienfaisante de tes ailes tous les hommes deviennent frères. Tous les êtres boivent la joie, s’abreuvant au sein de la nature ; les bons et les méchans suivent maintenant un chemin semé de fleurs. Que des millions d’êtres, que le monde entier se confonde dans une même étreinte[1]. »

Voilà le thème du dernier morceau de la dernière symphonie. Voilà les Novissima verba de Beethoven. Sans doute, — bien que le droit en soit contesté par certaine école, — il est permis de préférer au finale de la Symphonie avec chœur tel ou tel autre parmi les grands finales du maître : celui de l’Héroïque, de la Pastorale, de la Symphonie en la ou de l’ut mineur. On peut admirer on l’un quelconque de ceux-ci des proportions plus exactes, une perfection pour ainsi dire plus parfaite, plus de mesure avec non

  1. Schiller. Traduction de V. Wilder (Beethoven).