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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/119

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l’église, et menace de se tuer lorsque son époux la réclame[1].

Je pourrais multiplier ces citations ; mais à quoi bon ? Elles se ressembleraient toutes. Les sentimens sont plus ou moins déplaisans, leur expression plus ou moins littéraire ; l’idée est partout la même : le mariage doit reposer sur l’amour-passion, en d’autres termes sur le désir, sous peine d’être dégradant pour la femme, car il faut de grandes flammes pour purifier certaines scories, et les parens sont criminels d’exposer leurs filles à se prêter par inconscience à des unions qui les « crucifieront » dans leur âme et dans leur chair. La conséquence saute aux yeux. Le lien du mariage ne doit pas survivre à l’amour. Il faut, pour l’honneur de la femme, qu’elle recouvre sa liberté le jour où elle n’est plus entraînée vers son mari. On se rappelle que Bebel avait dit : « La morale ordonnera de dénouer un lien devenu contraire à la nature et, par conséquent, immoral ; » et que miss Schreiner écrivait de son côté : « Quand nous ne nous aimerons plus, nous nous dirons bonsoir. » Effectivement, il n’y a pas autre chose à faire, du moment que le mariage n’a pas d’autre fin que de vivre un roman qui est, de sa nature, essentiellement éphémère ; et, alors, il est imprudent de se préparer des difficultés en provoquant l’intervention de fonctionnaires ou de gens d’église dans ses affaires de cœur ; et le seul moyen sûr de se démarier à volonté est de ne pas se marier ; et nous arrivons par une pente inévitable à l’union libre.

L’Angleterre y vient, en littérature s’entend. Un livre publié en 1894[2] nous montre une jeune fille du monde éprise d’un robuste paysan. L’épouser est hors de question ; Jessamine n’est pas faite pour soigner les cochons ; mais il n’est pas nécessaire de se marier : « Ma nature tout entière, s’écrie Jessamine, le choisit pour amant à la face de l’univers. » Va pour la nature.

Dans un autre roman, de l’an dernier, et dû cette fois à une-plume masculine[3], l’ingénue dit au héros, qui comptait l’épouser à la vieille mode : « Si j’aime un homme, je veux que ce soit en toute liberté. Je ne peux pas m’engager à l’aimer si je l’en trouve indigne, ou à continuer de l’aimer s’il ne sait pas conserver mon affection, ou si je découvre quelque autre homme qui me plaise davantage. Je ne peux pas m’engager à vivre avec lui, dans la honte, un seul jour après avoir cessé de l’aimer. »

Encore quelques mois, et la Grande-Bretagne lisait avec une certaine émotion un très beau roman, puissant et simple, où l’un des maîtres du style reprenait à son compte la thèse de

  1. Dr Janet of Harley street, par Arabella Kenealy.
  2. A superfluous woman.
  3. The woman who did, par Grant Allen (pseudonyme de Cecil Power).