bronzé par le soleil témoignait d’un long séjour dans l’Afrique tropicale. Cependant l’ensemble des traits de son visage dénotait une origine européenne. L’inconnu, qui excitait une vive curiosité, était l’Autrichien Rodolphe Slatin, l’ancien gouverneur du Darfour. Il était arrivé à Khartoum en janvier 4879, avait été nommé d’abord moudir de Dara, puis gouverneur de tout le Darfour. Ses administrés ayant fait cause commune avec les rebelles, il avait été obligé en 1884 de se rendre au Mahdi. Depuis il était resté prisonnier à Omdurman. Le silence avait succédé au bruit qui s’était fait naguère autour de son nom. Cet oubli même avait favorisé les audacieux projets des amis qui préparaient son évasion. Et voilà qu’après le voyage le plus aventureux, tantôt en une fuite éperdue, traversant le désert de toute la vitesse de son chameau, tantôt restant des journées entières caché derrière des rochers, il avait enfin réussi à gagner Assouan.
Slatin a vécu onze ans dans l’intimité ou plutôt dans la domesticité du calife Abdullah. Il a assisté aux principaux actes de sa vie publique, de même qu’il l’a vu dans la familiarité de sa vie privée. Il a eu avec lui d’innombrables conversations.
Il vient de publier ses souvenirs sous ce titre quelque peu emphatique : Le Soudan à feu et à sang[1].
Nous ne relèverons pas les longueurs et les répétitions qui se rencontrent dans cet ouvrage : elles n’ont rien de surprenant, car séjourner onze ans à la porte d’un chef soudanais en qualité de factotum est une préparation médiocre à l’art délicat de la composition et du style. Quant au fond, on ne saurait faire usage de ce document sans prudence ni circonspection. Slatin doit sa délivrance aux officiers anglais préposés en Égypte au « Service des nouvelles » (Office of intelligence). Depuis son retour, il a été élevé à la dignité de pacha, promu au grade de colonel, et il a pris rang parmi les officiers anglais de l’état-major égyptien. Accordons, puisque des personnes absolument dignes de foi nous l’ont affirmé au Caire, que l’auteur du Soudan à feu et à sang n’a subi, pendant qu’il composait son ouvrage, la pression directe d’aucun conseil intéressé. Tout au moins y a-t-il lieu d’admettre que, sous l’influence de sentimens légitimes de reconnaissance, l’évadé d’Omdurman a été enclin à favoriser les vues de la nation actuellement prépondérante en Égypte. Ces réserves faites, rassemblons les traits relatifs au calife Abdullah, épars en ce livre,
- ↑ Feuer und Schwert im Sudan. Meine Kæmpfe mit den Derwischen, meine Gefangenschaft und Flucht, 1879-1895. Von Rudolph Slatin Pascha, Oberst im Ægyptischen Generalstab, frueher gouverneur und commandant von Darfur ; Leipzig, 1896.