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leurs manières affables, Abdullah devinait leur haine implacable. Il voulut prouver à ses ennemis qu’ils espéraient en vain le voir frappé d’une disgrâce. A sa requête, le Mahdi reconnut publiquement ses services dans une proclamation dont voici les passages essentiels :

« Sachez, mes disciples, qu’Abdullah est le représentant du Juste et l’Emir de l’armée du Mahdi dont il est fait mention dans la vision du Prophète. Il est moi et je suis lui. Honorez-le comme moi ; ajoutez foi à tout ce qu’il vous dit, et ne doutez pas de lui. Il agit en tout par ordre du Prophète ou avec ma permission…

« Si quelqu’un d’entre vous dit ou pense du mal de lui, il sera anéanti et perdu dans l’autre monde comme dans celui-ci. Sachez qu’aucune de ses paroles, qu’aucun de ses actes ne doit être discuté par vous, car ils lui sont inspirés par sa sagesse et son équité intérieures. S’il condamne quelqu’un de vous à mort ou à la perte de ses biens, sachez qu’il le fait pour votre bien et votre foi : inutile donc de raisonner, obéissez. Le Prophète a dit en personne que le plus grand et le plus juste des hommes vivant sous le soleil près de lui était Abou Bakr. Le calife Abdullah est son représentant, et par ordre du Prophète mon calife… Je termine comme j’ai commencé. Croyez en lui, exécutez ses ordres. Ne doutez jamais de ce qu’il vous dit. »

Ce document a dans l’histoire du mahdisme une grande importance. Le Mahdi avait déjà exprimé la volonté d’avoir Abdullah pour successeur. Mais ce texte écrit confirmait ses paroles avec une force singulière. C’est un véritable acte d’investiture. Aussi Abdullah s’en est-il servi chaque fois qu’on a contesté son pouvoir, et l’a-t-il en toute circonstance opposé à ses ennemis.

Les esprits étaient donc bien préparés à la future domination d’Abdullah. Et quand, le 22 juin 1885, du grabat où il languissait, le Mahdi le désigna formellement pour son successeur, il ne suscita pas la moindre surprise. Devant le cadavre encore tiède, tous les assistans prêtèrent serment à Abdullah. En annonçant la nouvelle à la foule, on affirma que le Mahdi avait volontairement quitté cette vallée de misères et qu’il fallait s’abstenir de signes de douleur. Mais sa première épouse, qui pendant l’agonie s’était tenue accroupie et silencieuse dans un coin, alla faire part de l’événement à ses compagnes. Elles commencèrent leurs lamentations, et bientôt des cris funèbres s’élevèrent de tous les coins de la ville.

Sur l’ordre du calife, les dernières cérémonies s’accomplissaient. Le cadavre est enseveli dans une tombe creusée au