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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/145

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milieu du sol même de la chambre mortuaire. Puis tous les assistans, les mains élevées, disent la prière suprême.

Le moment était venu pour le calife de haranguer la foule. Très ému, la figure en larmes, il monta dans la chaire du Mahdi et, d’une voix tremblante, parla en ces termes : « Compagnons du Mahdi, la volonté de Dieu est irrévocable. Le Mahdi nous a quittés. Il est au ciel, là seulement où règne une joie éternelle. Nous aussi nous l’y retrouverons un jour. Mais jusque-là conformons-nous à ses préceptes. Soutenons-nous les uns les autres comme les pierres d’une muraille s’étayent réciproquement…

« Compagnons du Mahdi, je suis le Calife du Mahdi, c’est-à-dire son successeur, jurez-moi fidélité. »

Les plus rapprochés prêtèrent serment, puis ils cédèrent la place à d’autres, auxquels d’autres encore succédèrent. Jusqu’à la nuit tombante, la foule se pressa en masse compacte au pied de la chaire. Le calife répétait toujours la même allocution. À force de parler, il était devenu presque aphone, et parfois il descendait pour s’humecter la bouche. Mais l’orgueil de se sentir le maître d’aussi grandes masses d’hommes lui donnait force et patience.

Telles furent les premières heures du règne du calife Abdullah. Mais avant d’en considérer la suite, il paraîtra sans doute bon d’envisager le personnage lui-même.


II

Les traits d’Abdullah sont réguliers. Il a de grands yeux noirs, un nez droit, une bouche finement dessinée. Son visage brun clair est entouré d’une barbe peu touffue, noire jadis et maintenant devenue blanche. Lorsque Slatin le vit pour la première fois, il était svelte et élancé. Avec les années, il s’est alourdi. C’est qu’il a changé de régime. Naguère il se contentait des mets les plus simples, de galette de dourra, et de viande rôtie. Maintenant il lui faut des plats succulens. Qu’on lui parle de Turcs et d’Egyptiens, et il s’emporte ; il ne trouve pas de termes assez abjects pour exprimer le mépris qu’ils lui inspirent. Mais son obésité dément ses paroles et fait l’éloge de leur cuisine raffinée, en dépit qu’il en ait.

Il est toujours vêtu d’une grande robe de coton blanc, sur laquelle sont cousus des morceaux d’étoffe de couleurs diverses. Il se chausse de souliers jaunes et se coiffe d’un bonnet en soie bariolée, entouré d’un turban.

Il habite au centre même de la ville d’Omdurman. Un groupe