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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/196

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vraiment à quel genre d’exercice se livre cette jolie femme, allongée sur un nuage, comme une nageuse, et filant, en effet, au-dessus d’une sorte de géant, gisant sur le sol, la tête dans ses mains, prosterné, terrassé, replié, qui représente sans doute la terre, la réalité, je ne sais quoi, épouvantée et vaincue par la fuite de l’idéal. Ce n’est point clair pour l’esprit, ce n’est point satisfaisant pour les yeux. En thèse générale, l’emploi en sculpture, dans une matière dure et opaque, de la nuée, de la vapeur, de l’air, de toutes les choses vagues, impalpables ou impondérables, est toujours, pour l’œil, un désagréable étonnement. Au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, après Bernin, on en a fort abusé pour les Ascensions, Assomptions, Apothéoses ; il a fallu toute l’habileté de quelques grands artistes, et surtout leur science accomplie et leur goût ingénieux pour faire accepter, dans certains cas, ces supports douteux, qu’ils traitaient, d’ailleurs, hardiment alors, comme des matières solides ; presque toujours, notamment en Italie, ce ne sont que des tours de force à éblouir les badauds, sans gravité et sans effet. L’étonnement qu’on éprouve devant la disposition bizarre et incompréhensible du groupe de M. Charpentier, et devant l’étrange silhouette qui lui donne, de loin, avec sa base étroite et son couronnement allongé, l’aspect d’une superposition d’objets mal équilibrés et prêts à choir, dispose mal à y reconnaître un talent d’exécution remarquable, de la beauté, de la vigueur, de la souplesse. Ce n’est pas la première fois que M. Charpentier compromet, en des aventures étranges, sa bonne renommée de sculpteur, et l’on peut regretter qu’il ne s’en tienne pas à des conceptions moins tourmentées où ses grandes qualités se développeraient plus naturellement.

M. Larche, qui ne possède point encore l’expérience technique de M. Charpentier et qui, jusqu’à présent, semblait mieux préparé par la nature à s’occuper de choses délicates et tendres, s’est senti tout d’un coup, dans ses voyages, enflammé des plus terribles ambitions. L’auteur, doux et charmant, de la Source et le Ruisseau, du Jésus parmi les Docteurs, troublé par Michel-Ange, Bernin, Bude, Carpeaux, tous les maîtres les plus emportés et les plus fougueux, nous offre, en des dimensions colossales, une allégorie de la Tempête. Comme dans le groupe de M. Charpentier, bien plus encore, les vapeurs mêlées aux vagues, y jouent un rôle, et c’est un rôle prépondérant. La disposition d’ailleurs est aussi hasardeuse, avec des ruptures d’équilibre plus offensantes encore. C’est avec peine que l’œil débrouille, dans la masse agitée et confuse du bas, quelques torses et bras de femmes enchevêtrés qui se confondent avec les brumes et les flots parmi lesquels le vent les roule. En haut, une grande femme échevelée et hurlante, une