maux de la vie auront été supprimés. » — N’est-ce pas la revanche de Wordsworth d’avoir agi si puissamment sur John Stuart Mill ?
Quelle pouvait être, quelle a été en France la fortune d’une pareille poésie ? M. Legouis, étudiant Wordsworth pour lui-même, n’avait pas à se le demander. Nous qui avons cherché surtout à déterminer en quoi il diffère de nos poètes, nous nous posons la question, pour compléter notre enquête.
À première vue, plusieurs circonstances semblent concourir à son succès. Est-ce que cette Révolution, qui a été le point sur lequel a tourné toute la vie morale de Wordsworth, n’est pas notre Révolution ? Est-ce que l’écrivain qui a le plus profondément agi sur lui n’est pas ce Rousseau dont l’influence se retrouve, latente ou manifeste, à toutes les pages de son œuvre ? Est-ce que l’optimisme résolu du poète anglais n’est pas issu des prédications de nos philosophes ? Est-ce que, d’une façon générale, ce n’est pas un levain venu de France qui a fait germer une grande part de l’œuvre des Lakists ? — Et, d’autre part ; si l’on s’en tient au point de vue littéraire, est-ce qu’en relisant certaines pages de la préface des Lyrical Ballads, premier manifeste du romantisme anglais, on ne croit pas relire certaines préfaces de Lamartine ou de Victor Hugo ou d’Alfred de Vigny ?
Oui, au premier abord, que d’idées communes ! Mais, pour peu qu’on aille au fond des choses, que de différences ! Nulle part mieux qu’ici ne se vérifie cette loi du monde des esprits qui veut que la même idée, germant à la fois dans un cerveau français et dans un cerveau anglais, prenne deux formes distinctes. Assurément, si on s’en tient aux mois, plusieurs des articles du programme poétique de Wordsworth lui sont communs avec nos romantiques français. Eux aussi, ils ont prêché le « réalisme », et, s’ils n’y mettaient pas le mot, ils y mettaient, la chose. Eux aussi, ils ont cru à la mission sociale du poète et ils ont proclamé par la plume d’un Vigny que « lorsque le don de fortifier les faibles commencera de tarir dans le Poète, alors aussi tarira sa vie ; car, s’il n’est plus bon à tous, il n’est plus bon au monde. » Et, comme l’écrivait le malade du Docteur noir, Wordsworth n’aurait-il pas écrit, lui aussi : « Je crois fermement à une vocation ineffable qui m’est donnée, et j’y crois à cause de la pitié sans bornes que m’inspirent les hommes, mes compagnons en misère, et aussi à cause du désir que je me sens de leur tendre