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1876 cette doctrine, dont le grand maître, Emile de Girardin, aimait à dire : « La presse sans l’impunité, ce n’est pas la presse libre, c’est la presse ayant pour juges l’arbitraire, l’ignorance et l’intolérance. »

Ce qu’il faut bien remarquer, c’est que ces idées, repoussées en principe par le législateur de 1881, l’ont, en fait, pénétré et enveloppé ; elles ont exercé sur lui une influence telle que, soit par les vices presque volontaires de sa construction, soit par l’esprit qui devait présider à son application, le nouveau code de la Presse masque et déguise à peine depuis quinze ans, sous ses lignes correctes d’édifice pénal, le triomphe de fait du système de l’impunité. Ce point de vue est-il exact ?

Il suffit pour s’en rendre compte de relire les discussions qui ont précédé le vote de la loi de 1881. « Si nous faisons une loi pour ne pas l’appliquer, disait M. Allain-Targé, partisan de l’impunité déclarée, si nous y insérons des pénalités pour ne pas nous en servir, tout cela est bien inutile ! » Mais comment l’orateur pouvait-il supposer que la loi ne serait pas appliquée ? C’est qu’à l’heure où il parlait, les premiers articles votés avaient déjà rendu la répression illusoire. « Nous avons, disait M. Allain-Targé, détruit, désorganisé, supprimé à tout jamais ce qui pouvait être la responsabilité. A l’heure qu’il est, tout le monde, pourvu qu’il ait 20 ou 30 francs dans sa poche, peut publier un journal qui aura un, deux, trois numéros, tout le monde peut publier un libelle, peut même l’afficher, le faire distribuer par qui il voudra ; pourvu qu’il ait un gérant irresponsable, insolvable du moins, il est parfaitement à couvert de tout. »

Il est clair que dans ces conditions il était bien superflu d’inscrire des pénalités dans le Code ! L’orateur s’applaudissait d’ailleurs de ce résultat obtenu. « Ne compromettez pas, s’écriait-il, le bénéfice de l’impunité que le gouvernement pratique depuis deux ans et demi ! Il y a un fait nouveau, et ce fait, c’est que le gouvernement est outragé de la manière la plus odieuse, et il y a un fait ancien, c’est que nous, les républicains, nous avons été depuis dix ans assaillis par les calomnies de toute nature. On a cherché de toutes les manières à nous déshonorer, sans que nous ayons voulu provoquer des poursuites contre qui que ce soit… Et nous ne nous en portons pas plus mal La France, concluait-il, s’habitue à la licence de la presse, l’opinion publique se charge de défendre la société, les grands intérêts de l’Etat, et aussi la réputation des hommes politiques, de tout le monde ; et il est bien heureux que l’opinion publique se charge de ce soin, parce que la répression y échouerait. »

Ces idées avaient dans le Parlement des défenseurs