constitue le délit de presse comme tout autre, c’est la volonté, l’intention de nuire. Or, chez qui se rencontre cette intention ? Avant tout chez l’auteur de l’article destiné à la publication, chez l’écrivain, le créateur du corps du délit, que par d’étranges subtilités on nous présente aujourd’hui comme le complice !
Ce n’est pas tout. A côté de l’écrivain se trouve le directeur du journal qui a inséré l’article. Voilà le vrai publicateur, l’agent effectif et l’entrepreneur de la publication ! Sa personnalité et sa fonction se reconnaissent, à ce qu’il nous semble, à cette pierre de touche, que c’est lui qui agrée ou qui refuse les articles destinés au journal ; c’est lui, par conséquent, qui est le publicateur intellectuel, et non le publicateur fictif comme le gérant, ou le publicateur matériel comme le prote. Il doit être considéré comme co-auteur du délit commis par l’écrivain.
L’écrivain, le directeur, voilà les deux responsabilités réelles que le jury devra trouver en face de lui !
Supposons maintenant que l’article ne soit pas signé. Nous ne sommes pas de ceux qui acceptent avec Louis Blanc la doctrine du fameux amendement Tinguy, et voudraient obliger tout écrivain à signer ses articles. Nous ne demandons même pas, avec Girardin, que les signatures figurent au moins sur l’exemplaire destiné au parquet. Contrairement à ces doctrines, nous croyons qu’il est légitime que certains journaux veuillent représenter une force anonyme et collective. Mais à cela il faut mettre une condition : c’est que cette force, au lieu de s’incarner dans l’homme de paille qui signe au bas de la dernière page, s’incarne dans le directeur, souvent brillant et célèbre, dont le nom pare la manchette, et qui est le représentant moral de l’entreprise ! Donc si l’article n’est pas signé, l’auteur principal du délit de presse sera le directeur réel et effectif du journal.
Mais, dira-t-on, des lois sévères, celle de 1828 par exemple, ont déjà fait un effort pour se trouver en face d’une responsabilité véritable. Elles ont exigé notamment que le gérant eût une part dans la propriété du journal. Puisqu’elles ont échoué, puisqu’on a toujours vu renaître l’inévitable gérant fictif, pourquoi un système nouveau serait-il plus favorisé ? On baptisera le même gérant fictif du nom de directeur, et les choses n’iront pas mieux !
Ceci serait à craindre, sans doute, si dans notre système la désignation du directeur effectif n’était étroitement garantie par la responsabilité des propriétaires du journal. Ceux-ci, obligés à se faire connaître, obligés à répondre civilement des condamnations encourues, seraient de plus pénalement responsables de