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acrimonieuse ? Prenez garde aux petites guerres, disait à ses concitoyens un Anglais qui n’avait pas eu peur des grandes, car ce n’était autre que le vainqueur de Waterloo, lien faut dire autant des petites querelles qu’un rien peut toujours grossir. C’est un frottement continu, portant sur des matières inflammables, qu’une fois échauffées une étincelle peut allumer. On reproche, je le sais, volontiers à ceux qui se sont beaucoup occupés de recherches historiques, une tendance à faire du passé au présent des applications qui ne sont pas toujours justes, et je voudrais éviter cet inconvénient. Il m’est impossible pourtant de ne pas me rappeler que c’est à propos d’une contestation survenue sur les limites de leurs colonies du nouveau monde, que s’est engagée, entre la France et l’Angleterre, cette lugubre guerre de Sept Ans qui a sonné le glas de notre monarchie, et qu’une fois les deux marines aux prises, la Prusse s’est hâtée de venir mettre ses armées au service de notre ennemie ; et qu’était-ce que la Prusse d’alors auprès de celle d’aujourd’hui ?

Mais, fallait-il donc, pensera-t-on peut-être, ne vivre, toute autre affaire cessante, que d’une seule pensée ou plutôt d’une seule crainte, et sous le poids d’une sorte d’obsession, rester « hypnotisé devant la trouée des Vosges ? » C’est l’expression pittoresque dont s’est servi, je crois, un officier général distingué, occupant momentanément le ministère de la guerre, et depuis lors, souvent répété, le mot a fait fortune. Lorsque cette parole a été prononcée à la tribune, s’il y avait eu lieu d’y répondre, peut-être aurait-on pu faire remarquer à l’orateur que cette disposition exclusive, dont il semblait faire un reproche indirect, c’était le ministère dont il était le titulaire et les chefs d’état-major sous ses ordres qui en donnaient surtout le conseil et l’exemple. J’ai dit que je n’avais aucune prétention de paraître initié aux travaux auxquels on s’adonne avec tant de zèle dans les bureaux de la rue Saint-Dominique, et qu’on tient, par une précaution très louable, à l’abri de toute indiscrétion ; mais je suis bien trompé s’ils ne sont pas tous dirigés par une seule préoccupation, si préparatifs et prévisions de tout genre, plans de fortifications et de mobilisation, ouverture de chemins de fer stratégiques, régularisation du service de l’intendance, ne sont pas tous concentrés et convergeant vers un seul objectif : l’éventualité d’une guerre sur la frontière de l’est, et le moyen, suivant l’occurrence, de la prévenir ou de la soutenir. Et dans nos discussions des lois militaires, à quoi pense-t-on et de quoi nous parle-t-on ? Le but constant n’est-il pas de mettre notre effectif et notre matériel en meilleur état de faire face au seul adversaire qu’on