ait en vue ? N’est-ce pas ainsi qu’on justifie le chiffre démesuré de nos appels et le poids énorme qu’ils font supporter au budget ? Mais si c’est là la fin unique vers laquelle tend ce que l’on peut appeler notre politique militaire, pourquoi en avons-nous deux autres, l’une financière et l’autre diplomatique, qui semblent perdre cet objet principal complètement de vue ? Si tous nos calculs sont faits pour avoir tel jour, pour telle campagne qu’on prévoit, un nombre déterminé de soldats à mettre en ligne, à équiper et à nourrir, pourquoi semer à pleines mains à travers le monde les hommes et les écus qui feraient faute quand viendrait l’épreuve ? Pourquoi se préparer, en les suscitant d’avance, des diversions, des oppositions qui seront gênantes et procureront peut-être des alliances à nos ennemis ? Il faut pourtant savoir ce qu’on veut et ne pas se mentir à soi-même. Parlons franchement : si, après vingt-cinq ans, la patience au fond des âmes est lassée, si en fait d’espérances, comme de craintes, l’attente paraît trop longue et que le moment semble venu de n’y plus songer ; si, en comparant ce que nous venons de conquérir à ce que nous avons perdu on trouve que la quantité tient lieu de la qualité, il faut le dire, et réduire hardiment les efforts de toute nature qu’on s’impose pour une hypothèse dont on doit désormais détourner sa pensée. On ne peut pourtant pas avoir la prétention de suffire à tout. La France, fût-elle plus peuplée que malheureusement elle a cessé de l’être, et son budget encore plus élastique qu’elle n’a souvent l’air de le croire, ne peut pourtant pas rester en Europe sur un pied de guerre continu, et être prête à apparaître en armes à toutes les extrémités du globe. Il faut choisir.
Mais le choix, en réalité, est-il possible ? Ces sacrifices auxquels la France se condamne en vue d’une épreuve à laquelle elle croit devoir se préparer, sont-ils donc volontaires ? Les a-t-elle librement acceptés dans une pensée soit d’agression secrète, soit de revanche prochaine ? Sont-ils autre chose que des mesures de défense légitime et de réciprocité nécessaire ? Sommes-nous donc les seuls à tenir les yeux attachés avec une fixité magnétique sur la ligne nouvelle qui sépare la vieille France du jeune Empire ? N’est-ce pas aussi ce point de l’horizon que semble couver, surveiller, défier du regard, cette statue de la Germania, dont on a dressé le colosse sur une des hauteurs qui dominent le Rhin ? S’il y a un fantôme de guerre prochaine qui hante les imaginations, est-ce chez nous seulement qu’il fait son apparition ? Nul ne peut