Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/438

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


RICHARD WAGNER


ET LE


GÉNIE FRANÇAIS


______



S’il existe entre la France et l’Allemagne un antagonisme national, ou une opposition de race, les manifestations n’en remontent guère au-delà du premier Empire. Jusqu’alors en effet chaque prince avait sa politique personnelle, dont l’orientation ne dépendait que de ses intérêts personnels ; et la France a compté jadis autant d’alliés que d’ennemis parmi les souverains de sang allemand. Un fait, cependant, avait déjà contribué, depuis plus d’un siècle, à préparer la scission : je veux dire cette nationalisation graduelle de la science et de la philosophie, qui, suivant en cela l’exemple de la littérature proprement dite, avaient abandonné l’usage de la langue latine. Mais encore que la science, la philosophie et la littérature de chaque pays ne fussent plus accessibles, dans l’autre, qu’à une faible minorité, l’action mutuelle n’en continua pas moins de s’exercer librement entre l’Allemagne et la France : l’art français, la pensée française, ont puissamment agi sur le développement intellectuel de l’Allemagne, et réciproquement. À cet égard, et sans parler des aspects purement superficiels de cette action, — sans rappeler Voltaire chez Frédéric le Grand, ni Napoléon faisant la cour à Gœthe, — on doit envisager la polémique, toujours violente, souvent injuste, de Lessing contre la tragédie française comme un document historique de la plus haute importance. En premier lieu, elle prouve de la manière la plus incontestable l’espèce de domination que le théâtre français exerçait alors depuis plus de cent ans en Allemagne ; ensuite et surtout elle nous montre le théâtre national allemand prenant conscience de lui-même, s’élevant, pour ainsi parler, en raison