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depuis l’exécution de la Neuvième Symphonie à Dresde, en 1846, exécution restée célèbre, jusqu’aux représentations du Ring à Bayreuth, en 1876, et de Parsifal en 1882, ses minutieuses exigences, en matière de technique, ne se démentirent jamais : Paris l’avait accoutumé à la vouloir impeccable.


Mais j’ai parlé d’influences plus générales, d’un autre ordre, et dont l’action sur lui fut absolument différente de celle que je viens d’analyser. Déjà Mozart, écrivant de Paris à son père, lui dit que rien ne lui plaît en France, et que la seule chose qui lui donne le courage de vivre et de travailler, c’est de sentir qu’il est « un honnête Allemand ». Quelque chose de semblable s’est passé pour Wagner. Meyerbeer avait fait, en Italie, des opéras italiens, à Berlin des opéras allemands, et à Paris des opéras français. La souplesse de sa race s’adaptait indifféremment au goût de toutes les nations. En arrivant à Paris, Wagner croyait que cela ne lui serait pas plus difficile. Il se trompait ! il ne possédait en rien ce don de facile assimilation : en d’autres ternies, il devait être Allemand, ou ne pas être. C’est le contact avec la France qui le révéla à lui-même ; c’est de Paris que, les larmes aux yeux, il s’écria : « Je jure à ma patrie allemande fidélité éternelle[1] ! » Regardons maintenant le poète, et nous verrons ce travail de réaction germer, fructifier en lui ; son sang de Germain se refuser aux infiltrations étrangères ; et d’année en année la différenciation se préciser, grandir, devenir irréductible et définitive.

Avant de connaître la France, Wagner n’avait manifesté aucune prédilection pour la poésie allemande. Encore enfant, il s’était essayé à imiter les Grecs et Shakspeare. Plus tard, il avait écrit un opéra (les Fées) tiré d’une nouvelle italienne de Gozzi, puis un autre (la Défense d’aimer) dont le livret est taillé dans Shakspeare (Measure for measure). En arrivant à Paris, il y apportait un drame lyrique (Rienzi) tiré d’un roman de Bulwer, et l’esquisse du Vaisseau Fantôme, d’après un conte populaire hollandais. Pas un de ces sujets, on le remarquera, n’est emprunté à la poésie allemande. Mais son premier séjour à Paris apporta dans les sentimens du jeune maître une modification profonde, et qui devait être décisive. C’est pour échapper au contact de son entourage français, de cet entourage où il savait, on l’a vu, discerner tant de qualités brillantes, c’est pour se soustraire à cette atmosphère — dont l’influence même faisait courir, dans sa nature intime, comme un frisson d’incompatibilité, — que Wagner se réfugia dans la vieille poésie de sa patrie. C’est à Paris qu’il

  1. Voir t. I, p. 21.