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comprendre ce que je veux dire. Par classicisme, je n’entends donc pas l’adhésion à de prétendues règles d’Aristote, qui n’ont jamais existé que dans l’imagination de ses commentateurs, mais certaines qualités innées, qui passent de l’âme du poète dans les œuvres, quelle que soit la forme de celles-ci, et qu’il n’est pas donné au vulgaire d’acquérir ou d’imiter. Or, ces qualités, les drames dont Wagner a doté l’Allemagne les possèdent à un degré éminent. En ce sens, ils sont vraiment « classiques ». Et voilà ce qui a valu à ces drames, encore que beaucoup peut-être ne s’en rendent pas compte, les suffrages unanimes de tous les Français de goût dès qu’ils eurent entrevu, sous cette fallacieuse étiquette « d’opéra », dont nos théâtres les décorent, l’intention du poète-musicien.

Wagner s’était, on le sait, nourri d’hellénisme ; au collège déjà, ses professeurs lui prédisaient, comme philologue, un grand avenir ; à treize ans, il lisait couramment Homère et composait des tragédies à l’imitation d’Eschyle et de Sophocle ; vieillard, il ne parlait jamais de l’art et de la littérature de la Grèce qu’avec une vénération émue. De bonne heure, toutefois, son instinct, le poussa également vers l’art de Beethoven : aussi rêvait-il, tout enfant, lorsqu’il venait de terminer quelque essai de tragédie, de l’immerger dans la musique, de l’en pénétrer de part en part ; tant que cela ne serait pas fait, il sentait qu’il lui restait quelque chose à dire, quelque chose d’encore inexprimé. Mais, un drame en musique, qu’était-ce, à cette époque, sinon un opéra ? Wagner fit donc des opéras et devint, pendant quelques courtes années, chef d’orchestre, s’éloignant ainsi de l’idéal de sa jeunesse, s’écartant de la voie que, déjà, lui traçait son génie ; et c’est pourquoi, dès qu’il eut acquis la pleine maîtrise de l’art des sons, dès qu’il eut conquis l’autorité que donne la renommée, dès qu’après cette période nécessaire de gestation il se fut retrouvé lui-même, il créa une forme de drame qui, pour être lyrique, n’en est pas moins classique, au sens propre du mot.

Quels sont, en effet, les caractères qui peuvent valoir à un drame cette épithète de « classique », sinon la simplicité, l’unité, et la tendance à l’idéalisme. Or, ces signes distinctifs, nous les retrouvons dans les drames de Wagner, auxquels on pourra sans doute reprocher bien des choses, mais, à coup sûr, jamais le manque de simplicité, d’unité, ni d’idéalisme. A cet égard, je ne sache que le théâtre classique grec et français qui leur puisse être comparé.

La simplification est une loi fondamentale et l’essentielle condition de ce nouveau drame, né « dans le sein de la musique ». Sans entrer dans le détail de l’esthétique wagnérienne, qu’il me