Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit permis de rappeler au lecteur quelques exemples connus de cette simplicité, si âpre dans le Hollandais volant ; — si claire dans Lohengrin, qu’un sourd peut suivre et comprendre l’action dramatique en voyant ce qui se passe sur la scène ; — si évidente enfin dans Tristan et Isolde, et dans Parsifal. M. Gaston Paris n’a-t-il pas blâmé Wagner d’avoir simplifié la légende épique de Tristan ? Corneille, aussi lui, cependant, ne s’est servi que d’une portion infime de la légende du Cid ; et Wagner a pu, il a dû pousser plus loin encore la simplification de ses poèmes : comme nous l’avons déjà donné à entendre, l’essence du drame issu de la musique l’exige impérieusement.

Non moins frappant, dans les drames de Wagner, que ce caractère de simplicité, est celui de l’unité d’action, unité presque mathématique, et qui, certes, nous remet à l’esprit l’adage de Buffon : « Tout sujet est un. » Aucun drame n’a poussé aussi loin cette réduction à l’unité que Tristan et Isolde ; et pourtant, en y regardant de près, on la retrouve, et dans une tétralogie aussi compliquée que celle de l’Anneau du Nibelung, et dans une action aussi bariolée que celle des Maîtres chanteurs. Dans ceux-ci, l’unité consiste non point tant dans le fait qu’un personnage unique domine toute l’action, — cela peut avoir tout aussi bien lieu dans le drame parlé, — mais dans le fait que, grâce à la musique, lame de ce même personnage peut comme s’épancher à travers toutes les ramifications que le sujet comporte. Il commande ainsi notre attention, et, sans que pour cela il soit besoin du moindre effort d’abstraction, il la commande encore même quand il n’est pas en scène. Cette unité est à la fois formelle, par la symphonie, et idéale, par la pensée, qui, sans préjudice pour l’émotion, ne perd jamais de vue la suite logique des événemens.

Enfin la troisième qualité dominante des drames de ce maître, c’est leur idéalisme. J’entends par-là une constante subordination du fait à l’idée qui l’engendre ou qu’il fait naître. Ainsi dans les drames de Sophocle ou de Racine, la fable nous présente des événemens singulièrement tragiques : mais ce n’est pas sur ces événemens eux-mêmes que le poète attire l’admiration du spectateur. Ce qui en fait tout l’intérêt, ce que le drame nous présente avec insistance, ce sont, tout au contraire, les états d’âme que traversent les personnages, soit qu’ils suscitent ces événemens, soit qu’ils en deviennent les victimes. Si l’action de Wagner est plus nourrie que celle de Sophocle ou de Corneille, par exemple ; si les événemens semblent s’y multiplier ; c’est que, dans son drame, la mise en scène et le geste acquièrent une signification particulière, grâce toujours à la musique : on connaît, par exemple, le rôle