Je me crois donc le droit d’affirmer, en terminant, qu’il y a entre les grands tragiques français d’une part, et Wagner de l’autre, qu’il y a, dis-je, parenté de génie, et que cette parenté, pour tout esprit non prévenu, ne se saurait contester. Sans doute, l’Allemand a dû résoudre le problème du beau d’une façon autre que le Français ! Mais sous les profondes et légitimes divergences qui distinguent l’idéal d’une nation de l’idéal de l’autre, apparaissent clairement, pour qui veut les voir, ces mêmes grands principes, dont, en tous temps et chez tous les peuples, a vécu la poésie classique.
Nous avons constaté de nombreux et intéressans rapports entre Wagner et la France. Nous avons vu que cette même France, que les Français aussi ont eu dans l’évolution de ce maître allemand, en tant qu’homme et en tant qu’artiste, une part que l’on ne saurait négliger. Et en les étudiant, non dans leur apparence extérieure, mais dans leur genèse intime, nous avons découvert un air de famille entre la tragédie française et le drame classique allemand créé par Wagner. Il n’est dès lors que légitime de se demander si l’art et la pensée du maître de Bayreuth ne sont pas, de leur côté, appelés à exercer en France une influence notable. Mais ici, je quitte le terrain des faits pour aborder celui des conjectures ; et, ne prétendant nullement à une infaillibilité prophétique, je nie borne à donner mon opinion personnelle pour ce qu’elle peut valoir.
L’imitation de Wagner ne saurait, je le crains, produire en France de résultats plus remarquables que celle de Corneille, de Racine, de Molière n’en a produits jadis en Allemagne. Disons-le franchement : le génie ne s’imite pas, et voilà précisément ce qui le distingue du talent. Le reproche que l’on adresse parfois à Wagner, de n’avoir pas fait école, est plaisant en vérité ! Où a-t-on vu le génie faire école ? Qu’on veuille bien me dresser, dans l’histoire littéraire de l’Angleterre, la liste des poètes issus de Shakspeare ! L’Art poétique de Boileau, ce livre immortel, a-t-il pu, en deux siècles, doter la France d’un seul nouveau Racine ? Mais, dans la question qui se pose devant nous, il y a plus. Ce qui fait la grandeur de Wagner, c’est qu’il est si foncièrement Allemand qu’il a pu créer une nouvelle forme de drame adaptée au génie de son peuple, et à laquelle, selon toute vraisemblance, l’âme allemande est la seule qui s’adapte naturellement et sans « forcer son talent ». Qu’un grand poète tragique