Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendement de nos budgets futurs. Plus on y réfléchissait, plus l’incertitude et l’anxiété entraient dans les esprits. Mais, comme il arrive souvent, ce n’est pas de cela qu’on parlait le plus, bien que ce ne fût pas à cela qu’on pensât le moins. Le gouvernement avait introduit dans son projet l’impôt sur la rente : cet impôt n’a pas tardé à détourner sur lui et à accaparer l’attention. Le reste du projet est resté dans la pénombre, pendant que toute la lumière de la discussion se concentrait sur la rente et sur l’inconvénient qu’il pouvait y avoir à la taxer.

Le débat a été très brillant. Depuis longtemps la Chambre n’avait pas entendu des discours aussi bien venus que ceux de M. Ribot et de M. Rouvier. L’effet a été des plus vifs et des plus profonds. A dire vrai, il n’a pas tenu seulement à tel ou tel discours, mais à l’ensemble même de la discussion et à la manière dont elle a été conduite par l’opposition, alors que le ministère paraissait de plus en plus étonné, incertain, irrésolu. Au point de vue de la simple tactique parlementaire, c’était une faute de laisser, pendant quatre séances consécutives, se produire des discours dont l’effet allait toujours croissant, sans prendre la parole et sans rien faire pour effacer, ou du moins pour diminuer une impression qui a fini par s’emparer de l’Assemblée presque tout entière. Le ministère s’était-il donc trompé sur les dispositions de la majorité ? Il avait cru celle-ci non seulement prête à voter l’impôt sur la rente, mais désireuse de le faire, afin d’écarter une fois pour toutes une question qui pesait sur elle d’un poids de plus en plus lourd, et qui était devenue une arme entre les mains des socialistes et des radicaux. Était-ce là une erreur ? Oui, si on en juge d’après le résultat ; non, si on se reporte à l’état d’esprit où la Chambre était encore il y a trois semaines. Nous laissons de côté le fond de la question. Parmi ceux qui étaient résignés à l’impôt sur la rente, aucun n’en était un partisan bien enthousiaste. On le regardait beaucoup plus comme une nécessité politique que comme une réforme désirable en elle-même. Mais la disposition à le voter était très répandue sur presque tous les bancs de la Chambre, et si le gouvernement avait su profiter de cette disposition, l’entretenir, la maintenir, il serait sans doute arrivé au résultat qu’il s’était proposé. Il n’en a rien fait. Il est intervenu trop tard dans le débat. Comment a-t-il pu laisser sans réponse immédiate le discours de M. Ribot ? C’est à peine si M. Ribot a occupé la tribune pendant une demi-heure. Il y était monté, a-t-il dit, plutôt pour expliquer son vote que pour se livrer à de longs développemens sur la question. Mais jamais il n’avait eu plus de talent. Il s’est montré simple, concis, grave, ému. Il a rappelé que la rente reposait sur un contrat passé entre l’État et son créancier, et qu’une seule des parties n’était pas maîtresse d’en modifier les termes. Il ne s’est pas contenté de cette affirmation, inspirée par la