Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/724

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des journaux allemands, qui attaquaient ces réductions avec une extrême véhémence, permet de croire que son sentiment était partagé par ses alliés, à moins même qu’il n’ait été inspiré par eux. C’est donc sur ce point que la rupture s’est faite, mais elle était préparée d’avance. L’à-propos avec lequel elle s’est produite le lendemain même du jour où le gouvernement venait d’obtenir, à la suite de plusieurs succès parlementaires, un succès plus éclatant encore que les précédens, montre que M. di Rudini a su attendre et choisir son heure, et aussi que son parti était pris depuis quelque temps déjà.

La nécessité de faire des élections dans un délai plus ou moins prochain, mais qui ne saurait être très éloigné, s’impose au ministère italien. Il a vécu jusqu’ici tant bien que mal avec une Chambre qui doit son existence à M. Crispi : c’est un inconvénient pour le présent, c’est un danger pour l’avenir, car M. Crispi est de la race de ceux qui ne se découragent et n’abdiquent jamais. M. di Rudini devait donc prévoir les élections, c’est-à-dire les préparer, et, pour cela, il devait donner quelque indication au pays. Mais laquelle ? Les nécessités de la lutte politique qu’il avait soutenue contre M. Crispi l’avaient en apparence rapproché de la gauche avancée, radicale même ; il avait fait alliance avec M. Cavallotti ; il avait trouvé auprès de lui un concours très efficace dans la bataille, et ce concours était resté très empressé après la victoire. M. Cavallotti avait tout intérêt à rester l’allié, et à paraître, dans une certaine mesure, le protecteur du gouvernement. Il y a quelques jours encore, les amis de M. Crispi ayant soulevé, à propos du budget des Affaires étrangères, un débat auquel tout le système d’alliances de l’Italie s’est trouvé mêlé, M. di Rudini avait naturellement défendu ces alliances, et M. Cavallotti avait voté quand même pour le ministère, non sans provoquer quelque surprise, ni sans soulever quelques protestations de la part des siens. Il a été mal récompensé de sa fidélité. Tout porte à croire que cette intimité avec les radicaux, survivant par la volonté de ces derniers aux circonstances qui l’avaient fait naître, avait fini par être une gêne et un embarras pour M. di Rudini. Peut-être serait-il exagéré de dire qu’il a de parti pris cherché une rupture ; mais, certainement, il a voulu marquer aux yeux du pays une tendance plus accentuée dans le sens de la droite. Il lui semblait dangereux de laisser un doute se produire, ou se maintenir plus longtemps à ce sujet. L’orientation politique qui devait présider aux élections futures, voire prochaines, risquait de s’en ressentir. Le départ du général Ricotti devait entraîner celui de quelques-uns de ses collègues. Au : surplus, afin de s’assurer une liberté plus grande, M. di Rudini avait amené le cabinet tout entier à donner sa démission. Sur onze ministres, cinq ont été remplacés, et l’ont été par des membres de la droite. Ce sont le général Pelloux nommé à la Guerre, M. Prinetti aux Travaux publics, M. Sineo aux Postes, M. Visconti-Venosta aux Affaires