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robes noires, lui apporter au nom du consulat quantité de boîtes de dragées et de confitures dont elle les remercia. Le soir il y eut feu d’artifice sur la place, et illumination qui dura trois jours. Chaque fenêtre était couverte de papiers peints aux armes de France et de Savoie et éclairés derrière par un flambeau. Les deux journées suivantes furent remplies par des harangues que la princesse écouta toute droite, au milieu de sa chambre, mais trouvant toujours un mot pour répondre à chacun. Nouvelle harangue du Prévôt, puis des Présidens de l’Élection et du Présidial, puis du Trésorier de France, puis du Parlement des Dombes. On la conduisit également aux églises et aux couvens : à Saint-Jean, où elle fut complimentée par les chanoines, comtes de Lyon[1], et où, pour la première fois, la messe fut chantée en musique au lieu de l’être en plain-chant ; chez les Célestins où elle fut reçue avec beaucoup de magnificence, leur maison ayant été fondée autrefois par un duc de Savoie ; chez les dames de Saint-Pierre ; chez les Carmélites où elle donna l’habit à une religieuse ; enfin chez les Jésuites, où on lui fit admirer la bibliothèque et où les écoliers récitèrent en son honneur des vers composés par les pères. De temps à autre, elle était obligée de se faire voir pour contenter la curiosité, et la duchesse du Lude, après lui avoir fait faire en carrosse le tour des remparts et de Bellecour, au milieu d’une population enthousiaste, la fit dîner on public et en grande cérémonie, « avec le bâton et le cadenas », écrivait Desgranges à Torcy. Enfin, elle partit le 21. Toute la bourgeoisie se mit encore en armes pour l’escorter et l’acclamait en l’appelant : « Princesse de la paix. » — « Le jour de son départ, dit le Mercure de France, la joye cessa dans la ville de Lyon. »

Nous ne continuerons point à la suivre, pas à pas, dans les différentes villes où elle coucha, à Roanne, à Moulins, à Nevers, à la Charité. Dans chacune de ces villes, à la Charité en particulier, où les fêtes de la Toussaint la retinrent trois jours, elle fut reçue en cérémonie et haranguée. L’un de ces harangueurs (ce n’était ni plus ni moins que le lieutenant général de la province) étant demeuré court, elle le sortit d’embarras en le prévenant par un remerciement « avec autant de bonté et de présence d’esprit, écrivait Desgranges, qu’une personne fort âgée aurait pu le faire. » À Moulins, les bons pères jésuites, jaloux de ceux de Lyon, avaient préparé jusqu’à six madrigaux où ils la comparaient successivement au lis, à la rose et à d’autres fleurs encore. La duchesse du Lude s’opposa à la récitation pour ne pas retarder l’heure du départ, mais la princesse eut l’heureuse inspiration de

  1. Pour être chanoine comte de Lyon, il fallait faire preuve de seize quartiers de noblesse.