Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/818

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque jamais eu que des élèves médiocres. Ils sont même, presque toujours, de mauvais professeurs. Quels sont, en Italie, les descendans de Michel-Ange ? Pensez aussi à ce que vous voyez de nos jours. C’est peut-être que les grandes personnalités, les intuitifs, — les seuls intéressans parmi les artistes, — voient devant eux, où est la lumière, et ne regardent pas autour d’eux, où sont les commencemens d’âmes, les artistes de demain. Il n’y a de commun à tous que l’amour. Entre la beauté générale et l’effort du plus humble des ouvriers de l’esprit s’établit une communication secrète, une affinité continuellement exaltée par l’intensité de ce pur sentiment. De même, il y a une sorte d’équilibre indéfinissable, mystérieux, et pourtant très sensible pour les artistes, entre toutes les parties d’une œuvre d’art, qui en assure la perfection visible, et en constitue la loi cachée, et que seul mesure cet étiage intellectuel du beau, le goût. J’ai souvent entendu répéter par Gounod, et il me plaît de mettre mes idées sous la protection de son doux et clair génie, cette phrase où il aimait à résumer toute sa polémique contre certains hommes et son catéchisme d’art tout entier : « Voir gros ce n’est pas voir grand ! Et la mesure en tout est la première condition de la beauté ! »


III

Le naturalisme, dont il faut reconnaître les rares services en même temps que la fin prématurée, aura été de notre temps un curieux état de l’esprit, quelque chose comme une maladie nécessaire. Voir laid, cela nous a évidemment reposés d’avoir vu beau si longtemps ! L’impressionnisme est venu achever le malade, je veux dire achever de le guérir, sans parler des maladies semblables de la littérature ou de la musique ! Mais enfin tout cela est fini, et nous sommes guéris, n’est-ce pas ?… A moins que le symbolisme décadent, qu’on a pris naguère pour une convalescence, ne soit une rechute ? Ne serait-ce pas aussi que la contagion vient de plus haut ? Hélas ! quand l’âme d’un peuple est malade, quel peut être son art ? Et si les idées sont gangrenées, que veut-on que disent et traduisent ces artistes, qui ne sont que des reflets de l’âme générale, d’involontaires dénonciateurs de l’état moral ou social. Pourtant il y a eu, il y aura encore, je pense, en ce pays de France, un état de bonne santé artistique, où l’œuvre, image fidèle de l’artiste, saine, logique et bien constituée, vit et s’impose, se tient, comme nous disons, et garde une physionomie toute particulière, encore qu’elle ait de reconnaissables parens. Et cette parenté, c’est la tradition ; et cette