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individualité, c’est le don, talent ou génie. Dans leur réconciliation seule sera le salut.

Car enfin il y a un lien naturel, vital, entre les époques comme entre les artistes d’un même pays, une suite historique du travail collectif, une raison d’être de race ! A côté du renouveau qu’apporte toute âme différente, il y a une filiation des individus et une discipline des idées. Quoi ! Etre des Gaulois, fils de Celtes un peu rêveurs, et de Latins très précis, c’est-à-dire le meilleur mélange qu’on puisse concevoir de pensée et de volonté, de rêve et d’action, ou encore d’art et de métier ; se sentir, après des siècles de bon labeur, un peuple de penseurs vifs et clairs, d’artistes délicats et nets, descendans bien vivans encore de ces fiers ouvriers d’idées qui furent nos ancêtres, toujours lumineux, sobres, hardis, concis, spirituels surtout et mesurés dans la force, et forts même avec je ne sais quelle grâce ; de Rabelais ou de Racine, de Voltaire ou de Bossuet, jusqu’à Lamartine, jusqu’à Flaubert, de Clouet ou de Watteau jusqu’à Ingres, jusqu’à Meissonier, de Germain Pilon ou de Houdon jusqu’à Rude, jusqu’à Carpeaux ; et n’avoir plus le choix, au dire des prophètes de brasserie ou des portiers de chapelles, nos maîtres, qu’entre un bas naturalisme sans esprit et sans goût ou un maniérisme de dégénérés, — art de malades, art de vaincus ! Vraiment, c’est assez ! Encore un peu, et le malade se fâchera, et le Gaulois se révoltera sous le Français déchu, ou peut-être seulement sceptique ! Qu’un cœur ému nous parle, qu’un esprit simple se lève parmi nous, et nous relève : nous l’appelons de toutes nos forces ! Si déjà quelques hommes plus fiers, ou quelques tempéramens plus forts, ont su résister à ce flot montant de la réclame et de la sottise, admirons-les hautement ! aimons-les surtout. El qu’ils nous disent comme il faut vivre et penser, pour ne pas vivre et mourir de quintessence après avoir failli mourir de grossièreté. Le naturalisme nous a rappelés, en un jour de détresse, au respect de la nature ? Soit ! Il a secoué les uns de leur affadissement sentimental, il a délivré les autres de la tyrannie des conventionnelles platitudes. De cette… purgation nous est revenu peut-être l’appétit aux doctes idées, aux nobles formes. Mais, pour Dieu ! maintenant que nous avons les yeux plus clairs et l’âme nettoyée, reprenons la route ensoleillée ; respirons, comme tout le monde, l’air pur de l’admirable nature qui, au fond, n’est laide que pour de vilaines âmes ; et revenons à la santé, qui n’est encore que la Beauté !

Voilà le bon combat, à cette heure. Et je pense qu’il n’a rien que de très loyal. Mais comme il est urgent ! comme le temps presse de se ressaisir, de reprendre courage en reprenant