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vous apercevez le parallélisme. « La religion, c’est le sentiment des hommes religieux, » avait dit le philosophe ; et bientôt les historiens surviennent, qui vous déclarent que les documens religieux, réputés dépositaires d’une révélation d’en haut, expriment, en fait, le sentiment des hommes religieux d’antan, et que les dogmes sont un produit des diverses époques, une traduction nécessaire de la conscience chrétienne. Et de même que votre religion à vous, réformés du XIXe siècle, n’est autre que le subjectivisme travaillant sur le christianisme, ce christianisme lui-même ne représente rien autre chose que le subjectivisme de vos lointains ancêtres.

Si la religion n’est rien plus qu’un fait de conscience, individuelle ou collective, l’histoire d’une religion sera, tout simplement, l’histoire des développemens de la conscience religieuse. À cette norme, les récits de l’Ancien Testament sont à leur tour mesurés. Au début du siècle, indévots et dévots passaient leur temps à disserter grammaire, archéologie, voire même à tenter des critiques littéraires, au sujet de l’Ancien Testament ; c’était une façon, pour les premiers, d’éviter l’embarras de paraître incroyans, et, pour les seconds, d’être réputés savans en même temps qu’ils étaient croyans.

Mais l’histoire biblique, dans le courant du siècle, fut proprement érigée en science. On découvrit que, telle que l’Ancien Testament la raconte, elle contredit et renverse les notions de la psychologie sur l’évolution religieuse des peuples ; c’est à la lumière de cette psychologie qu’on commença de la juger et de la rectifier. Le miracle, l’impossible, l’inacceptable, ce n’est pas tant Josué arrêtant le soleil ou la Mer-Rouge engloutissant Pharaon, que cette brusque survenance de Moïse, suivant et précédant deux époques où l’état religieux des tribus hébraïques semble avoir été fort rudimentaire. Au point de départ des études de Vatke, de Graf, de Reuss, de Wellhausen, de M. Stade, on saisit ce postulat, que la soudaine apparition d’un législateur théocratique comme Moïse est contraire à la vraisemblance, c’est-à-dire aux lois, empiriquement induites, qui régissent l’histoire religieuse des peuples. Mais vous observez, tout de suite, que ce postulat en implique un autre : c’est que la religion hébraïque est un produit du peuple hébraïque, une résultante de l’histoire hébraïque. On la traite a priori, comme si elle n’était pas un fait révélé, extérieur et supérieur à Israël ; elle est la création du génie d’Israël. Or Israël ne peut pas s’être fait sa religion à la façon que racontent les écrits de l’Ancien Testament, car il n’est aucun peuple chez qui la conscience religieuse se soit éveillée et développée