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d’une telle façon. De là les hypothèses sur les écrits de la bible, leur date, leur succession, sur les stratagèmes de leurs compilateurs. Arrière la vieille critique, qui, tremblante encore en ses extrêmes audaces, s’évertuait à écheniller les détails surnaturels dans l’histoire du peuple de Dieu ; c’est la trame même de cette histoire qui est taxée d’invraisemblance ; et suivant les données de l’analogie historique et de l’induction psychologique, avec le secours d’une exégèse dont certains résultats, d’ailleurs, resteront sans doute acquis à la science, on soumet cette trame à un tissage nouveau. Que l’histoire religieuse d’Israël, au terme de ce travail, soit devenue presque adéquate à l’histoire religieuse des autres peuples, avec le phénomène du messianisme en plus, et l’on tiendra le succès rêvé.

Ainsi ce n’est plus au nom de l’invraisemblance rationnelle et philosophique qu’on ébranle les dogmes, c’est au nom de l’invraisemblance historique, empirique. Rien de surprenant, du reste : à mesure que la pensée philosophique détruisait la confiance de la raison en elle-même, le critère des négations devait être déplacé. L’invraisemblance rationnelle s’établit par une argumentation logique ; lorsqu’un théologien allemand flaire et dénonce une « invraisemblance historique », il traduit une simple impression, prononce d’après son sens personnel, qui souvent diffère de celui des théologiens voisins. « Cela n’a pas pu se produire » : volontiers la critique protestante s’exprime de la sorte ; elle ne fait point une déduction qui alléguerait, en sa mineure, l’impossibilité métaphysique du surnaturel, et qui rallierait à sa conclusion tous les champions de cette mineure ; elle fait une induction, une interprétation, souvent arbitraire, de l’histoire.

En ce genre de labeur, M. Adolphe Harnack est passé maître. Sa science est accomplie ; ses recherches ont une allure de sereine impartialité ; à l’égard de certaines traditions catholiques, comme l’existence de la primauté pontificale dans l’ancienne Eglise chrétienne, il est piquant d’observer que ce savant protestant a fourni quelques argumens à l’apologétique catholique ; son autorité d’historien est incontestée. Mais épiez le théologien qui fait escorte à l’historien ; pour juger ces dogmes dont il retrace la genèse, il lui faut une règle d’appréciation. Ce n’est pointa des considérations rationnelles qu’il emprunte cette règle ; il la cherche et il la trouve dans l’évangile de Jésus. Mais l’« évangile de Jésus » qu’est-ce, à vrai dire ? Il serait besoin d’une règle nouvelle pour y discerner, parmi le chaos de l’exégèse, ce qui doit faire autorité et ce qui mérite d’être non avenu. Et comme on ne peut pas toujours remonter à l’infini, de critère en critère,