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laisse croire aux dévots que vous partagez leur foi. Vous vivez d’équivoque : et, de ces procédés jésuitiques, l’église de Luther mourra. » D’une école à l’autre, le reproche de jésuitisme rebondit : mauvais moyen pour avancer l’entente.

« Si le libéralisme poursuit ses progrès, la dernière heure de l’Église devra sonner » ; c’est un pasteur croyant d’Essen qui fait entendre ce glas. « Le désir qu’a l’orthodoxie d’opprimer la critique théologique met la religion en péril » ; ce cri d’alarme est d’un élève de M. Harnack. Chaque parti prétend porter le salut de l’Église avec lui. « Un phénomène maladif, une grande misère » : c’est ainsi que M. le professeur Beyschlag qualifie cet émiettement. Mais ce jugement même est contesté ; les jeunes théologiens de l’école moderne ont plus d’allégresse et de crânerie. Si l’on se querelle parmi la postérité de Luther, à leurs yeux c’est tant mieux : cela prouve que l’Église vit ; et ne s’est-on point disputé, d’ailleurs, au Concile de Jérusalem, moins de vingt ans après la mort du Christ ? L’unité religieuse serait une forme de paralysie ; la variété religieuse est un phénomène de croissance. Et plus âpre deviendra le conflit, plus l’école moderne se réjouira du réveil des consciences religieuses au sein de la Réforme. Que si les positifs, d’ailleurs, déplorent ces débats, il dépend d’eux de les abréger : tous les réformés peuvent s’unir dans cette conviction que le pur Évangile doit être maintenu et répandu, et dans un commun esprit de lutte contre Rome. Mais ce terrain d’union que les théologiens modernes proposent à l’orthodoxie, qu’est-ce autre chose que leur terrain à eux ? Nous adresser de telles invitations, ripostent les positifs, c’est nous demander de désarmer.

Et de part et d’autre on demeure armé. Pour la pacification, cependant, il est peut-être un dernier recours, c’est l’appel à Luther.

Gottes Wort, Lutheri Lehr
Vergehet nun noch nimmermehr.

« La parole de Dieu et la doctrine de Luther ne s’évanouiront jamais à l’avenir. » À Wittenberg, à la Wartburg, ce distique se lit sur les murailles. La saveur en est catholique ; car il juxtapose l’Écriture et la tradition, la parole de Dieu et l’enseignement des hommes, ou plutôt, par un césarisme étrange dont Luther se fût à certaines heures indigné, l’enseignement d’un seul homme, Luther. De nos jours, la Réforme, devenue, par un soubresaut de logique, plus conséquente avec son principe que ne l’étaient les vieux auteurs du distique, continue, dans Luther, de vénérer