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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/863

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à ces milieux divers où elle a vécu. Nous avons ainsi, dans Aurore Bunge, l’héroïne des bals du grand monde, la professional beauty de Stockholm. Spirituelle, altière et froide, elle ne connaît de loi morale que ce que prescrivent les conventions mondaines. Paraître, pour elle, est tout ; être est indifférent. Choyée, fêtée dans le monde, admirée par ses danseurs, elle arrive à l’âge de trente ans sans avoir connu l’amour et sans s’être mariée. Maintenant la lassitude approche ; le cœur est vide ; et il est temps de faire une fin. Le mariage de raison s’impose, le mariage sans amour, mais d’autant plus considéré.

Il se présente, en effet, dans la personne du vieux comte Kagg, qui, en conduisant Aurore à souper au bal de la Cour, l’a invitée avenir voir son château en Scanie, lui faisant entendre qu’il ne tiendrait qu’à elle d’y rester en châtelaine attitrée. Elle a demandé à réfléchir. Il y a bien aussi le baron Gripenfelt, officier de la garde, qui depuis longtemps lui fait la cour. Mais celui-ci, elle le sait, n’aime en elle que sa fortune et les avantages qu’il retirerait de son mariage. Pour réfléchir plus à l’aise, elle va passer l’été dans la maison de campagne de sa mère, sur les bords de la Baltique. Là l’amour revendique tout à coup ses droits. Un inspecteur des phares qui vit seul sur une île, où elle est jetée par la tempête un jour de pêche, lui révèle tout ce que ses flirtages dans les salons de la capitale lui avaient laissé ignorer : le sérieux, la vérité, la force de l’amour. Mais l’idylle est courte : l’été finit, il faut retourner en ville, quitter la belle nature pour rentrer dans le monde des conventions, cesser d’être pour reprendre la tâche de paraître. Heureusement que le capitaine Gripenfelt est aussi de ceux qui se contentent de paraître. Il l’épouse sans trop chercher à approfondir l’épisode du bord de la mer. Et le jeune ménage reprend la vie à grandes guides, avec toutes les apparences mondaines du bonheur. L’amour, la vérité n’avait été qu’une parenthèse dans la vie d’Aurore Bunge.

Aria et Gurli, deux sœurs, sont les types opposés de la jeune fille d’aujourd’hui. L’une voudrait se dépenser en bonnes œuvres, se dévouer à quelque grande cause, ou encore se donner, corps et âme, à quelque grand amour. Son exaltation naturelle la sauve de la sécheresse mondaine et des idées d’émancipation et d’indépendance, personnelle qui ont tant de prise sur les jeunes filles de son entourage. Mais, en échange des trésors d’amour dont son cœur est plein, elle exige de l’homme qu’elle aimera non seulement une affection, une fidélité égales, mais une égale pureté. Elle regarde le libertinage de jeunesse, les amours d’avant