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Mais bientôt, dominant le bruit de ces réjouissances, sortit de nouveau de tous les coins de la terre, des cités, des monts et des vallons, l’écho de l’humaine tristesse, l’écho des pleurs et des sanglots.

Alors Jésus descendit sur notre planète. Il chercha vainement son frère. Partout où il le demandait, des gémissemens répondaient ; des mères avaient perdu leurs filles ; les hommes ne rentraient plus au foyer. Les joies de Dionysos semblaient avoir fait naître de nouvelles misères. Jésus souffrait de toutes ces peines. Dans sa douleur, les roses tombèrent de sa couronne : il n’en resta que les épines, qui maintenant perçaient son front. Des gouttes de sang se mêlaient aux larmes qu’il versait sur ces souffrances humaines. Et l’humanité, voyant cette divine tristesse, crut alors que la joie ne pouvait naître que des larmes.

Ressembler au Christ, aimer les hommes comme il les a aimés, voilà donc le but de la vie. Telle est la conclusion à laquelle arrive Dans Alienus. Il a trouvé que les joies de Dionysos ne suffisaient pas à remplir l’existence ; que la recherche de la vérité conduisait au doute ; que le culte du beau demeurait stérile. Seule la Charité peut donner la paix du cœur. Hans Alienus revient donc auprès de son père. Il est maintenant aussi vieux que lui. Toutes ses illusions sont restées en route. Il a brisé son idole, renié son ancienne croyance dans l’Eudémonie hellénique. Il les remplacera par la foi en l’humanité et par la résignation. Désormais le père et le fils se comprennent. Par des chemins différens, la vie les a conduits au même point. Le culte de la science et du savoir n’a pas donné plus de satisfaction à l’un que le culte du beau et la joie de vivre n’en ont procuré à l’autre. Telle est l’idée philosophique qui se dégage du livre de M. de Heidenstam. Mais la philosophie de l’œuvre est loin d’être l’œuvre entière. C’est tout au plus le fil conducteur qui la traverse et que j’ai essayé d’indiquer. Le reste échappe, en grande mesure, à l’analyse. On ne peut résumer ces tableaux de civilisations anciennes, ces rêves, ces visions, ces allégories, ces paraboles dont le livre est tout rempli.

Aussi bien la valeur d’une œuvre semblable dépend-elle moins de l’idée philosophique que l’auteur a voulu exprimer que de la force créatrice par laquelle il a pu donner la vie à ses visions, faire revivre le passé, nous faire oublier qu’il nous transportait à côté et au-dessus du réel. M. de Heidenstam donne souvent cette illusion, mais il n’y parvient pas toujours. A côté de tableaux réellement beaux, de scènes très vivantes, de paysages charmans, de détails très finement observés, il y a chez lui des pages