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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/883

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sibyllines, des mythes obscurs, des passages où l’extraordinaire, l’imprévu, occupent une place trop grande, des oracles de pythonisse dont le sens échappe. Il faut ajouter pourtant que ces abstractions, ces singularités, ces obscurités ne sont jamais tout à fait choquantes. C’est que, dans le plus libre élan de ses pensées, l’auteur ne s’est jamais détaché de son héros. Ce sont les chagrins, les révoltes, les aspirations, les sensations de Hans Alienus qu’il met dans son œuvre. Lui seul nous intéresse : ce sont ses confidences volontaires ou involontaires qui donnent à son rêve la sensation du vrai.


CONCLUSION

Pour compléter cet aperçu du mouvement littéraire suédois, il aurait fallu, à côté des œuvres que nous venons d’examiner, placer celles de romanciers tels que Ernest Ahlgren, Nordensvan, Stella Klève, Alfhild Agrell, Anna Wallenberg, parmi les réalistes ; de Tor Hedberg, Axel Lundegàrd, Beckström, Sigurd Snorre, Armanda Kerfstedt, Mathilda Roos, Selma Lagerlöf, parmi ceux qui montrent plutôt des tendances idéalistes.

Mme Victoria Benedictsson, qui écrivait sous le nom d’Ernest Ahlgren, a été, par sa vie autant que par ses ouvrages, une personnalité intéressante. Mariée très jeune à un inspecteur des postes plus âgé qu’elle de vingt ans, elle vécut obscurément jusqu’à sa trente-troisième année dans un petit village du midi de la Suède. D’une santé délicate, atteinte d’un terrible mal chronique qui la tourmentait par intervalles fréquens, elle passa cette première partie de sa vie dans l’isolement complet, livrée à ses propres pensées, parmi lesquelles se faisait jour déjà un sentiment de révolte contre sa destinée, contre les conditions de sa vie, contre l’oppression de son milieu. Déjà, elle méditait le projet décrire, de déverser dans un roman tout ce qui débordait de son cœur, de sortir par la fiction des ténèbres qui l’entouraient. C’était une de ces âmes fiévreuses, impuissantes contre elles-mêmes, que la verve saisit par secousses, qu’une sensibilité maladive pousse à s’exagérer la douleur comme la joie ; natures faites de contrastes et de soubresauts, qui, sentant en elles-mêmes toutes les passions, sont spécialement douées pour les décrire. Enfin cette révolte qui grondait en elle éclata. Un beau jour, sans préparation ni prétexte, elle quitta sa maison, son mari, tous les siens, rompit avec la vie régulière, et s’en alla de par le monde, seule, prétendant jouir de la vie. Elle se mit alors à