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I

Deux causes amenèrent, à cette époque, une recrudescence du fanatisme musulman : d’abord les victoires des rois chrétiens d’Espagne sur les derniers rois arabes de la péninsule, suivies de l’expulsion définitive des Maures, qui se réfugièrent en masse en Afrique et y portèrent la haine du nom chrétien ; et puis, surtout, la prise de Constantinople par les Turcs. Ce succès, en effet, en exaltant outre mesure l’orgueil des musulmans, leur donna l’espoir d’une revanche et ouvrit une ère nouvelle de vexations intolérables contre les Européens. La prise d’Alger et de Tlemcen par Barberousse (1516-17) marque le paroxysme de cette réaction furieuse de l’islam contre la chrétienté.

Quelle fortune singulière que celle de Baba-Aroudji[1] ! Fils d’un renégat sicilien, né à Mételin, à treize ans il apprend le métier de pirate, groupe autour de lui, par son audace et sa générosité, une bande d’aventuriers, et à quarante ans se fait couronner roi d’Alger ! Il ne jouit pas d’ailleurs longtemps de sa conquête et mourut trois ans après, dans un combat contre les Espagnols, aux environs de Tlemcen (1518).

Son frère, Khaïr-ed-din, surnommé aussi Barberousse, lui succéda et comprit de suite qu’il ne lui était pas possible de se maintenir seul à Alger, entre l’Espagne menaçante et les tribus arabes de l’intérieur, frémissantes sous le joug. Il fit donc hommage de son royaume au sultan Selim Ier, qui l’accepta, en lui confiant le titre de beglier beg et lui envoyant un renfort de six cents soldats turcs. Ainsi se forma mi-partie avec des soldats ou janissaires[2], mi-partie avec de hardis marins ou reïs, l’odjak d’Alger, qui durant trois siècles, répandit la terreur sur tous les rivages de la Méditerranée. Chose étrange, cette milice turque fut organisée par les Barberousse sur le modèle d’un ordre militaire chrétien, celui des chevaliers de Rhodes. Les membres de l’odjak étaient astreints au célibat, ils recevaient tous, quel que fût leur grade, une solde égale et une égale part de butin dans les prises. La régence d’Alger eut d’abord à sa tête un pacha, nommé par le sultan de Constantinople et investi de pouvoirs limités ; il était assisté de quatre ministres ou secrétaires d’Etat, qui formaient le Divan et se réunissaient chaque semaine. Mais un ramassis de brigands ne peut garder longtemps un gouvernement régulier ; la violence appelle l’anarchie. Aussi, au XVIIe siècle, la milice

  1. Surnommé Barberousse, à cause de la couleur de sa barbe.
  2. La milice d’Alger comptait, en 1638, 22 000 hommes.