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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/908

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d’Alger, supportant impatiemment l’autorité des pachas, plus avides de butin que capables de gouverner, s’en débarrassa peu à peu entièrement et mit à sa tête un chef élu par le suffrage des reïs et des janissaires, et investi d’un pouvoir absolu, appelé Dey. Ce Dey, qui n’était plus que le vassal nominal de la Sublime Porte, siégeait dans son palais de la Jemina assis sur une peau de lion ou de tigre, symbole frappant de la féroce tyrannie que l’odjak exerçait sur les populations arabe et maure, berbère et juive. Il disposait d’une flotte de soixante-quinze à quatre-vingts galères, armées chacune de vingt-cinq à quarante canons et manœuvrées par des esclaves chrétiens.

La capitale, Alger (Al-Djezaïr-ben-Mezghama), bâtie au Xe siècle, sur les ruines de la ville romaine d’Icosium, était, déjà deux ou trois siècles après, une ville très peuplée et dont les bazars étaient fréquentés par les marchands du Mâgreb[1]. Assise sur le penchant d’une colline qui forme un amphithéâtre descendant jusqu’à la mer, avec ses murailles de 14 mètres de haut, flanquées de tours crénelées et garnies de crocs en fer pour y suspendre les condamnés à mort, ses six portes bardées de fer et qu’on fermait sans rémission au coucher du soleil, son arsenal dit topane, ses six caseries ou casernes de janissaires, ses cent mosquées, ses cent vingt-cinq fontaines, ses quinze mille maisons blanches, avec leurs toits en terrasse, du haut desquels les reïs pouvaient contempler à l’aise leur domaine maritime, son badistan, ou marché aux esclaves, ses bagnes où les esclaves étaient entassés pêle-mêle, puis le fort de l’Empereur, construit à la place où avait été la tente de Charles-Quint et sur lequel flottait maintenant l’étendard vert semé d’étoiles d’or, enfin le môle, qui s’avançant à 300 mètres en mer, formant un port capable d’abriter plusieurs centaines de navires, avec tout cela Alger offrait l’aspect d’une ville superbe et menaçante.

Les tristes exploits accomplis par Barberousse et les reïs d’Alger aux dépens des nations de l’Europe, trouvèrent des imitateurs ; bientôt des milices ou oligarchies militaires semblables se constituèrent à Tunis (1574), à Tripoli, à Salé (Maroc). Tunis ou Thunes le cédait à peine à Alger pour sa puissance militaire, — l’odjak comptait cinq mille janissaires et deux ou trois milliers de reïs, — et pour son activité commerciale.


C’est, écrivait Capmany vers 1785, une fort grande et belle ville extrêmement riche. Elle a plus de cent mille habitans. On y voit de belles maisons, de magnifiques mosquées et des maisons fortes. Sur une petite hauteur se

  1. Alger avait, au XVIe siècle, une population de 100 000 à 120 000 âmes, dont 10 000 Juifs.