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ensevelit sous les ruines cinq cents habitans, mais n’obtint du Divan que des promesses illusoires[1].

Nous pensons que, si on eût laissé agir le consul lazariste, si, surtout, on eût fait droit aux justes revendications des Algériens, on eût obtenu la reddition de tous les esclaves faits depuis la rupture de la paix ; mais on tenait à obtenir une large indemnité pécuniaire.

Louis XIV renvoya donc l’année suivante Duquesne, à la tête d’une flotte, avec ordre d’exiger la restitution de tous les captifs, plus une somme d’un million et demi de livres pour indemniser les commerçans français de leurs pertes et, s’il ne les obtenait, de s’emparer de la ville d’Alger à tout prix. L’intrépide marin parut devant Alger, le 20 juin 1683, et ouvrit, pendant la nuit, le feu du bombardement. Le dey Baba-Hassan, effrayé, enjoignit, dès le lendemain matin, au consul J. Le Vacher d’aller trouver l’amiral français et de lui demander ses conditions. Celui-ci ne voulut même pas laisser monter le parlementaire à son bord et dit qu’il ne pourrait traiter sans avoir des otages. Le dey, deux jours après, lui en envoya une douzaine, y compris un renégat turbulent, Mezzomorte, dont il se méfiait. Cette fois-ci, Duquesne laissa monter le consul sur son vaisseau ; mais, soit qu’il y eût en lui la rudesse d’un soldat, soit qu’il fût choqué de l’intercession du consul en faveur des Algériens, il ne lui offrit aucun siège, de sorte que le pauvre prêtre impotent dût s’asseoir sur un affût de canon et, au cours de l’entretien, l’amiral s’écria : « Êtes-vous donc plus Turc que chrétien ? » J. Le Vacher, sans se fâcher, lui répondit : « Je suis prêtre. » L’amiral répéta qu’il ne consentirait à traiter que lorsque tous les esclaves français lui auraient été rendus : on lui en amena 516. Il réclama alors l’indemnité. Cependant, toute la ville d’Alger était en ruines ; les habitans étaient affolés ; les janissaires musulmans murmuraient contre les concessions du dey et menaçaient les Francs de représailles ; le Dey, tiraillé en sens contraires, n’osait prendre aucune décision.

Duquesne, de son côté, s’impatientait ; alors Mezzomorte lui persuada qu’il obtiendrait plus d’effet en un jour que le dey en dix s’il voulait le laisser agir. Notre amiral se laissa prendre à cette ruse et le relâcha. Aussitôt débarqué, le renégat va de casserie en casserie souffler le feu de la révolte parmi les reïs ; une troupe de conjurés se rend à la Casbah, étrangle Baba-Hassan et proclame à sa place Mezzomorte, sous le titre de Hadji-Hussein, dey d’Alger. Duquesne, se voyant joué, rouvre

  1. On trouve un écho des espérances que firent naître ces expéditions militaires, dans l’Oraison funèbre de Marie-Thérèse d’Autriche, par Bossuet (1683).