se joignent ici aux impossibilités politiques et morales. On a raison d’adresser à la Grèce des paroles empreintes de fermeté et même de sévérité, mais on peut être assuré d’avance qu’elle en tiendra le moins de compte possible, et cela est de sa part si naturel qu’on aurait tort de s’en fâcher ou de s’en étonner. La force des choses l’emporte sur les conceptions de la diplomatie. Tous les pays qui, sous une forme ou sous une autre, nourrissent des pensées irrédentistes, sont à cet égard dans la même situation. Si une insurrection éclatait parmi les Italiens de Trieste, — nous prenons cet exemple parce qu’il n’a aucune chance actuelle de se réaliser, — les liens mêmes de la triple alliance ne seraient pas assez solides pour empêcher l’Italie non officielle de favoriser de toutes ses forces le mouvement révolutionnaire. Il en sera toujours et partout ainsi. En vouloir à la Grèce serait puéril. Elle fait ce que tout autre ferait à sa place. On lui adresse des observations parce que des volontaires s’embarquent tous les jours pour la Crète ; elle y répond par des bandes qui franchissent la frontière de la Macédoine. Cela est fâcheux et condamnable ; mais ce n’est pas sur la Grèce qu’il faut compter pour l’empêcher.
Sur qui, alors ? Là est la difficulté que l’Europe et la Porte n’ont pas encore réussi à surmonter. On l’a essayé, avec de très bonnes intentions sans doute, mais sans le moindre succès. Le comte Goluchowski a proposé ou suggéré aux puissances l’idée d’un blocus de la Crète. Cette proposition du ministre des affaires étrangères d’Autriche-Hongrie n’a certainement pas été inspirée par un sentiment de partialité ou de complaisance envers la Porte ; il y a quelques semaines à peine, le comte Goluchowski tenait devant les délégations un langage presque menaçant contre le sultan auquel il annonçait la chute prochaine de son empire, condamné, disait-il, par son mauvais gouvernement et par sa mauvaise administration. On aurait cru entendre lord Salisbury comme il parlait l’année dernière. Le comte Goluchowski n’est pas suspect non plus de mauvais sentimens à l’égard de la Grèce : dans les circonstances actuelles, il a même intérêt évident à la ménager. Mais c’est un homme résolu, et qui va droit au fait. Au moment des affaires d’Arménie, ne proposait-il pas de forcer les Dardanelles, ce qui aurait très probablement réduit les résistances de la Porte, mais aurait eu des inconvéniens d’un autre ordre ? Aujourd’hui, un blocus sérieux et effectif de la Crète arrêterait non moins sûrement la contrebande de guerre envoyée au secours de l’insurrection, mais quel serait, pour l’Europe elle-même, le lendemain d’un si grand effort ? Le sultan a été le premier à prendre ombrage de l’idée du comte Goluchowski. Il y a vu une atteinte à sa souveraineté. C’est à lui qu’il appartient de faire la police dans les eaux crétoises. A la vérité, il y réussit mal ; mais le jour où il avouerait publiquement son impuissance et où il ferait appel à