l’Europe pour y suppléer, son autorité sur la Crète deviendrait terriblement précaire. L’opposition du sultan a porté le dernier coup à la proposition du comte Goluchowski ; mais alors la difficulté reste entière, et on voit de moins en moins comment et par qui la police des eaux crétoises pourrait être faite avec efficacité. Le sultan a bien essayé de la faire. Au moment même où se réunissait l’Assemblée générale crétoise, un incident maritime s’est produit qui n’a pas peu contribué à jeter le trouble et l’alarme dans les esprits. On a dit que les hostilités reprenaient, que les Turcs eux-mêmes les avaient recommencées, qu’ils avaient violé l’armistice, qu’ils avaient remis le feu aux poudres. De quoi s’agissait-il en réalité ? Un vaisseau turc qui surveillait les côtes crétoises avait aperçu un autre navire sur le point d’aborder, qui paraissait porter de la contrebande de guerre. Aussitôt il avait détaché un canot monté par un officier et neuf hommes, et chargé d’inspecter le navire suspect. On était près du rivage. Les insurgés qui y attendaient ledit navire n’hésitèrent pas à tirer sur le canot turc, et ils tuèrent jusqu’au dernier l’officier et les hommes qui le montaient. Le vaisseau turc répondit par quelques coups de canon inoffensifs et inutiles. On n’imaginerait pas tout le bruit que les Crétois ont fait autour de cet incident ! Il a été convenu pour eux que c’étaient les Turcs qui avaient commencé. Ils se sont plaints amèrement d’un aussi odieux manquement à la parole donnée. Voilà ce qui arrive aux Turcs lorsqu’ils font ou qu’ils essaient de faire la police dans les eaux crétoises, et il y a de quoi les en décourager. En réalité leur police est nulle ou insuffisante, et chaque jour l’insurrection reçoit des renforts nouveaux.
On s’explique donc l’initiative prise par le comte Goluchowski ; mais il faut avouer qu’elle était à la fois dangereuse dans la forme et prématurée. Le mot même de blocus sonne durement à l’oreille. On ne voit pas bien l’Europe employer contre la Crète, et aussi contre la Grèce, les derniers moyens de coercition, et se faire le gendarme de la Porte dans un conflit où tous les torts ne sont pas d’un seul côté. Il y aurait lieu, en tout cas, avant d’en venir à des mesures d’exécution, de savoir quelle sera l’attitude de la Porte à l’égard des dernières revendications qui lui ont été soumises par les députés chrétiens à l’Assemblée générale. Dans les conditions où elle s’est produite, la proposition du comte Goluchowski a eu, de plus, un inconvénient qui n’est pas sans quelque gravité. L’attitude prise à ce sujet par les diverses puissances de l’Europe a révélé entre elles certaines divergences, sinon sur le fond des choses, au moins sur la conduite à tenir dans une circonstance donnée. Il n’y a pas à se dissimuler que l’autorité morale de l’Europe sur la Crète, sur la Grèce, et plus encore sur la Porte, vient tout entière de sa parfaite unanimité. Unie, l’Europe est