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empruntée en grande partie à l’étranger, elle est originale, car elle donne exactement l’idée du peuple qui se l’est appropriée, et l’a accommodée à son génie. Il est impossible de dire, en présence de l’amphithéâtre d’El-Djem, qu’il n’y a pas un art romain.


IV

J’ai remarqué que, lorsqu’on visite un bel édifice ruiné, l’imagination cherche d’abord à le remettre dans son ancien état ; puis, quand on l’a, par la pensée, relevé et restauré, on essaie de lui rendre ses anciens habitans ; on voudrait le voir comme il était au temps de sa splendeur et servant aux usages pour lesquels il avait été fait. Je puis affirmer que, parmi ceux qui ont visité Dougga et El-Djem le mois d’avril dernier, il n’en est aucun à qui ce désir ne soit venu. En parcourant le peu qui reste de ce cirque, en s’asseyant sur les gradins de ce théâtre, en voyant cet immense amphithéâtre se dresser devant eux, ils éprouvaient une sorte de besoin de les ranimer, de leur restituer toutes les parties que le temps leur avait enlevées, de les repeupler de la foule qui s’y pressait aux grands jours, de se donner le spectacle d’une de ces fêtes pour lesquelles on les avait construits.

C’est un désir qu’on peut jusqu’à un certain point satisfaire. Et d’abord il y a des gens dont c’est le métier et le talent de nous donner de bonnes restaurations des édifices mutilés. Nos architectes y excellent, et la bibliothèque de l’École des beaux-arts, est pleine d’excellens travaux de ce genre, signés de noms illustres, et qui nous rendent à peu près l’antiquité tout entière. A la vérité, on n’a pas eu encore le temps de s’occuper beaucoup des monumens de l’Afrique ; mais comme ils ne sont pas très différens de ceux qu’on bâtissait ailleurs, on peut se servir pour eux de ce qu’on a dit des autres. Par exemple, les restaurations nombreuses qu’on a faites du Colisée permettent de rendre à l’amphithéâtre d’El-Djem ce qui lui manque, et en étudiant le théâtre d’Aspendos et celui d’Orange, avec l’aide de Petersen et de Caristie il sera facile de se rendre compte de celui de Dougga.

Nous voilà donc en possession du monument ancien réparé et restauré ; mais il est vide, et il nous faut un effort nouveau d’imagination pour le remplir. Plaçons-nous à l’orchestre du théâtre de Dougga, un jour de fête solennelle ; regardons les spectateurs descendre du sommet de l’édifice ou pénétrer par les deux portes voisines de la scène. Ils ne s’entassent pas au hasard sur les gradins qui sont le plus à leur portée, comme ferait une foule française dans une représentation gratuite. Des designatores ou