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rien ne le dispute à l’attention du voyageur, il n’en détourne pas les yeux. Le petit village indigène, composé de maisons à un étage, et d’où ne sort aucun bruit, disparaît sous l’ombre de l’immense édifice. Cette solitude et ce silence ajoutent à l’impression qu’on éprouve en l’abordant.

Regardons-le du côté où il est le mieux conservé, à l’heure où le soleil fait ressortir les tons chauds de la pierre dont il est construit. La majesté de la façade, la simplicité des ornemens, et surtout la merveille de cette couleur dorée rappellent aussitôt à l’esprit le souvenir du Cotisée. Par ses dimensions, l’amphithéâtre d’El-Djem s’en rapproche[1] ; il a, comme lui, trois étages, et il possédait aussi, quand il était intact, un attique, qui formait, à l’intérieur, un grand portique circulaire au sommet de l’édifice. Quoique l’attique ait aujourd’hui tout à fait disparu, et que le monument soit enterré de 3 ou 4 mètres dans les décombres, il mesure encore plus de 30 mètres de hauteur. On a calculé que le Colisée contenait au moins 100 000 spectateurs ; il est probable qu’à El-Djem 60 000 ou 70 000 personnes pouvaient trouver place sur les gradins ou dans le portique. C’est donc un des plus grands amphithéâtres qui nous restent de l’époque romaine.

Malheureusement, l’intérieur est en fort mauvais état. Les gradins, si merveilleusement conservés à Dougga, n’existent presque plus ici. Les escaliers se sont effondrés, et il ne reste des galeries que quelques arceaux qui paraissent suspendus en l’air et près de tomber ; c’est que le théâtre de Dougga n’a eu guère d’autre ennemi que le temps et que l’amphithéâtre d’El Djem a eu à souffrir du ravage des hommes. A l’époque de l’invasion arabe, la Cahena, l’héroïne des Berbères, qui entreprit d’arrêter les envahisseurs et les arrêta quelque temps, fit de l’amphithéâtre d’El-Djem sa place d’armes et y soutint un siège. Au siècle dernier, des indigènes, qui ne voulaient pas payer l’impôt, s’y enfermèrent, et tinrent tête aux troupes du bey de Tunis. Le bey victorieux, pour empêcher que l’amphithéâtre ne servît à une nouvelle révolte, le fit en partie démolir.

Malgré tout il a tenu bon, et ni le temps ni les hommes n’ont pu tout à fait le détruire. Ce qui en reste donne à ceux qui le visitent l’impression de grandeur que les artistes de Rome voulaient produire. Voilà bien l’architecture qui convenait au peuple roi ! On nous dit que les élémens en sont pris à la Grèce ; c’est bien possible, mais Rome y a mis son cachet. Quoique

  1. Le grand axe du Colisée mesure 188 mètres, et le petit 156 ; à El-Djem, selon Coste, le grand axe aurait 149 mètres et l’autre 124.