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les pauvres gens et les femmes, il dépeint l’aspect de la foule, les richesses prodiguées pour orner le podium, c’est-à-dire le petit mur derrière lequel se tient le public, les inventions ingénieuses qu’on a imaginées pour empêcher les bêtes féroces de bondir sur les assistans. Il décrit ensuite les surprises du spectacle, l’arène qui semble se fendre et les grands arbres qui en sortent avec leur couronne de feuillage ; il montre comment cette forêt qui a surgi tout à coup du sol s’anime et se peuple, et les bêtes qui s’élancent de tous les côtés par des trappes qui s’entrouvrent : c’est le tigre, l’élan, le bison, la girafe ; ce sont les veaux marins qui se jettent sur les ours ; c’est l’hippopotame « hôte du fleuve qui, tous les ans, répand sur les campagnes l’abondance de ses eaux. » Devant ces merveilles, « le berger reste immobile et la bouche béante, » et il s’en retourne chez lui convaincu que c’est un Dieu qui, sous les traits du jeune empereur, a donné ces fêtes aux Romains.

Transportons la scène à El-Djem ; remplaçons notre berger de bucolique par quelque Libyen venu dans la ville romaine des pays situés au-delà de Capsa ou du lac Triton, et qui n’a rien vu que ses chotts et ses déserts de sable, nous comprendrons l’impression que lui causera ce merveilleux spectacle et l’idée qu’il va emporter dans son gourbi de la grandeur romaine.


VII

Je n’ai plus à parler que du théâtre, et il semble d’abord que rien ne soit plus facile. Ici, les documens abondent ; et, pour ne pas sortir du pays dont nous nous occupons en ce moment, l’épigraphie africaine, presque muette à propos de l’amphithéâtre et du cirque, nous parle très souvent des jeux scéniques. Malheureusement ce qu’elle nous en dit n’est pas toujours clair, et beaucoup de questions restent obscures. Nous allons voir que, si, en présence du théâtre de Dougga, nous cherchons à nous faire une idée nette des pièces qu’on y jouait, nous n’arriverons pas toujours à nous satisfaire.

Pour savoir ce qu’est devenu le théâtre romain sous l’empire, il est bon de remonter un peu plus haut. Au moment où finit la république, il traversait une crise grave. Ce n’est pas que le peuple en eût perdu le goût : il y avait toujours une foule énorme dans le vaste édifice que Pompée venait de faire bâtir près du Champ de Mars ; mais les pièces qu’on y représentait plaisaient moins qu’autrefois. La comédie, depuis Térence, n’avait plus produit d’œuvre importante. C’était le seul genre littéraire qui fût resté stationnaire, au milieu du progrès général. Quelques années auparavant, le